mardi 31 décembre 2013

Sylvestre, au secours !!!

Dans quelques heures, ce sera cuit : 2013 aura basculé dans les oubliettes de l'Histoire...
Et moi, j'en peux plus !
J'en peux plus de voir et d'entendre ces flots de paroles sucrées, archi-convenues, bécasses... et tellement loin (j'espère !) de la réalité !
Il paraît, à en croire les reportages tournés aux halles de Rungis, qu'on se précipite sur la viande de kangourou, de zèbre et même de crocodile ; qu'on va se goinfrer de tonnes d'huîtres et de foie gras, qu'on avalera des hectolitres de champagne et de whisky. Il paraît que le summum du bonheur consiste à se prendre la mufflée du siècle, à se torcher à en crever, à se faire péter la sous-ventrière comme on disait dans ma jeunesse...A se défoncer jusqu'à l'aube sans plus savoir qui on est !
A voir les reportages télévisés, on constate que c'est la cohue sur toutes les pistes de ski, qu'elles soient alpines ou pyrénéennes ; que les queues aux remontées mécaniques s'allongent à l'infini ; que, heureusement, les plus raisonnables trouvent refuge sur les sentiers immaculés réservés aux porteurs de raquettes.
Alors, alors messieurs les sociologues, les économistes, que dites-vous de cette folie collective qu'on nous promet pour cette fameuse nuit du passage à l'an neuf ? "C'est la nuit de toutes les transgressions, dit le sociologue Jean Viard ; celle où tout est permis pour conjurer l'ogre des ténèbres. Nous sommes dans les nuits les plus longues.  Plus la crise fait peur, plus la transgression se doit d'être forte". Du côté des économistes, même son de cloche : on a tellement peur de l'avenir, tellement peur de l'augmentation de 0,5% du taux de la TVA, tellement peur de l'augmentation des impôts, de l'essence, du sucre, du fromage, du papier, de l'eau, de l'électricité, du gaz, du sel, du poivre ("vous m'en repasserez bien un peu ?"), bref de tout, qu'il est urgent de dépenser avant de perdre !
Tristesse...
Pensons une minute à ce fameux Sylvestre dont nous célébrons la fête aujourd'hui. Qui était-il ? Un pape né à Rome en 314, mort en 335, non pas en martyr comme tant d'autres mais benoîtement dans son lit.
Pourquoi est-il saint alors ? Parce que, grâce à lui et à l'empereur Constantin qui venait de se convertir au christianisme, la ville de Rome commença à devenir la grande ville chrétienne qu'elle est encore aujourd'hui. C'est à Sylvestre que l'on doit le début de la construction des premières basiliques du Latran et de saint-Pierre, chefs d'œuvre universels du génie et de la pensée humaine.
Cà vous a une autre gueule que cette grande bouffe planétaire qui se prépare...
Pour ma part, j'ai choisi : je vais déguster, trois heures durant sur Arte, le merveilleux téléfilm de cette grande dame cinéaste qu'est Nina Companeez, "Voici venir l'orage", cette fresque historique retraçant l'épopée de la famille Stern, celle de l'auteure, à travers l'Europe du début du XXe siècle.
 Bonheur assuré ! Quelques toasts de foie gras et une coupe de champagne à la main, tout de même...

Nanette

lundi 16 décembre 2013

L'envol de Madiba

Inutile de rajouter mon grain de sel aux tonnes d'éloges déversées par le monde entier depuis dix jours sur Nelson Mandela, cet homme que l'Histoire n'oubliera pas. Hier encore, lors de son enterrement à Qunu, le village de son enfance, on a pu mesurer toute la complexité de ce continent noir : côte à côte en direct sur l'écran de télévision partagé en deux, des officiels et des "people"venus de toute la planète participaient à un magnifique hommage à l'occidental sous une tente immaculée tandis qu'à quelques kilomètres de là sur une colline verdoyante des hommes vêtus de peaux de bête et armés de bâtons dansaient sur des rythmes ancestraux, rappelant l'appartenance de Madiba à l'ethnie xhosa des Thembu.
Mais quel magnifique symbole que l'ultime image donnée par les caméras où l'on voit le cercueil de Mandela posé sur le caveau ouvert, entouré de six officiers des différentes armées, casquettes à la main, drapeau national replié puis, dans le ciel, le passage de trois hélicoptères portant eux aussi le drapeau d'Afrique du Sud pour revenir, l'image suivante, sur le caveau béant... Pendant que nous levions la tête pour admirer les aéronefs, le corps de Madiba a disparu...
On nous a épargné la douleur de la mise au tombeau !
Avec une délicate pudeur, tellement chère à Madiba, les hommes de télévision ont choisi l'envol vers le ciel plutôt que le retour à la terre.
Chrétien méthodiste, profondément spirituel comme son peuple, Nelson Mandela a rejoint à la fois la terre de ses ancêtres et le ciel de sa foi.

Nanette

vendredi 13 décembre 2013

Partage ferroviaire...

Allons, allons, les cheminots sont de braves gens ! Parfois ils se mettent en grève juste au moment où on avait prévu un petit voyage mais souvent, tout de même, les trains roulent dans notre beau pays. Et parfois même ils arrivent à l'heure !
Justement, la semaine dernière j'ai eu droit à un joli coup au coeur dans un TGV.
Je lisais benoîtement, transportée en douceur par un de ces beaux wagons décorés par le couturier Christian Lacroix et j'avais à côté de moi un jeune homme d'une petite vingtaine d'années. Rien ne le distinguait du jeune "moderne": écouteurs vissés sur les oreilles, T-shirt orange et baskets blanches. Il grignotait des chips lorsque, tout à coup, il me propose une barre chocolatée. Eberluée, je refuse, prétextant... n'importe quoi ! Alors il insiste : "Vous voulez des chips ?" Là, j'éclate de rire... Et lui de continuer : "De l'eau ?" Cà, çà ne se refuse jamais ! Et puis je serais vraiment passée pour une vieille ronchon anti-jeune. Et me voilà glougloutant à la régalade à sa bouteille !
J'ai été tellement éberluée de tant de gentillesse, d'attention que je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire ce que je pensais : "Cà vous arrive souvent de proposer de donner ce que vous avez à une vieille dame alors qu'il y a tant de jeunes filles autour de vous ?" Et lui de me répondre : "Ben, oui ! J'en avais trop pour moi !"
Tout simplement...
Ce petit gars-là, il faudrait l'inviter à la table de nos gouvernants occidentaux, repus. Pour qu'il leur parle de partage, tout simplement.

Nanette

lundi 2 décembre 2013

La TVA fait du yoyo

A quoi jouent-ils, nos gouvernants ? Au bilboquet ? Au yoyo ?
A l'approche des cadeaux de Noël, voilà remis à l'honneur ces jeux bien innocents de notre enfance. Manquent à l'appel le diabolo, le hulla houp et le jokari..
Mais encore ?
Depuis quelques jours, deux nouvelles occupent les ondes et les écrans médiatiques : la ministre de la santé, Marie-Sol Touraine (que de méchantes langues droitières surnomment MST) a trouvé l'arme fatale contre la propagation du sida : diminuer la TVA sur les préservatifs de 7 à 5,5%, ce qui ferait une économie de 10 à 20 centimes d'euros par boîte ! Je ne sais pas combien de préservatifs contient une boîte et j'en suppose 10. Ce qui ferait tout de même baisser le prix de la "capote" (comme on disait en ces temps lointains où ce bon Lucien Neuwirth oeuvrait pour la libération de la femme) d'un ou deux centimes d'euro. Youpi !
En regard, superbe cabriole pour les quelque 2 000 centres équestres dont les tarifs de prestations doivent passer de 7 à 20% de TVA... D'où des augmentations spectaculaires de prix difficilement compatibles avec des porte-monnaie déjà bien sollicités ces temps-ci. Est-ce à dire, comme on l'entend dans les reportages, que nombre de chevaux risquent de finir à la boucherie dans les mois à venir ? Que des centaines d'emplois sont menacés également de disparaître ?

Il faut courir voir le magnifique film de Guillaume Gallienne, si plein de pudeur et de subtilité pour ce qu'il est convenu d'appeler "la différenciation sexuelle".
Il y a dans ce film ("Les garçons et Guillaume, à table !") une admirable scène qui se déroule dans un manège, justement : terrorisé par l'animalité qu'il pressent en lui et le paralyse, Guillaume découvre à cheval qu'il peut se libérer de cette peur archaïque inconsciente qui entrave son hétérosexualité à condition de faire confiance à la fois au maître de manège empathique et au cheval puissant et bienveillant.
Et puis il y aurait tant de garçons et de filles malheureux de ne plus pouvoir parler à l'oreille de leur confident pour quelques euros de trop...
Des économies, il y a tant d'autres façons d'en faire...


Nanette

vendredi 29 novembre 2013

TUNISIE : AN 2 DE LA REVOLUTION (4) - Et le bon Dieu dans tout çà ?

Et notre bon Dieu à nous, chrétiens qui depuis plus d'une semaine sillonnons ce pays dont la population est musulmane à 99%, où se cache-t-il ?
Dans la splendeur de ces innombrables mosaïques admirées au musée du Bardo à Tunis, à Kairouan dans une villa romaine, à Dougga ou à Bulla Regia niché dans la chaîne de l'Atlas près de la frontière algérienne, à Carthage ou à Utique ?
Entre les doigts experts d'un potier de Nabeul qui décore à main levée depuis 22 ans des poteries destinées aux Etats-Unis ou dans la voix sublime d'Alia Sellami, chanteuse de l'Ensemble vocal Aloes entendue à notre hôtel ?
Dans le regard tendre d'un enfant croisé dans la casbah de Bizerte ou dans le geste attentif de l'homme chargé de nous recouvrir, nous les femmes, d'une djellaba avant de franchir le seuil de la grande mosquée de Kairouan ?
Dans ces paysages bibliques immémoriaux où les Phéniciens puis les Romains, les Grecs et les Arabes construisirent leurs villes et où seuls semblent vivre maintenant des bergers gardant leurs troupeaux de moutons ?
Il est partout, notre bon Dieu, et nous le savons tous.

"Faire ce qui n'est pas interdit"

Les cloches des églises ne sonnent plus en Tunisie. Les prêtres, les religieux et les religieuses doivent se fondre dans la population, ne pas porter de signes ostentatoires d'appartenance religieuse. La plupart des églises ont été fermées, nationalisées ou transformées en centre culturel. Les processions sur la voie publique sont interdites. Toutes ces dispositions résultant d'un accord passé entre le Vatican et la Tunisie.
Sur un total de 115 églises, il en reste cinq en fonction ainsi que de nombreuses chapelles installées chez des sœurs ou des religieux à travers tout le pays.
Cette situation de liberté surveillée pèse à Mgr Ilario ,Antoniazzi, le tout nouvel archevêque de Tunis arrivé de Jérusalem depuis seulement six mois : "Nous ne sommes qu'à 80 kms de l'Europe, nous dit-il à l'issue d'une messe célébrée dans la cathédrale St-Vincent-de-Paul, et pourtant ici au Maghreb on sort du monde européen. La réalité est bien différente".
L'Eglise locale compte environ 30 000 chrétiens (25 000 catholiques et 5 000 orthodoxes), des étrangers pour la plupart : des Africains du sud Sahara venus étudier, des ouvriers travaillant dans des usines délocalisées, des chefs d'entreprises venus d'Europe. Leurs contrats de travail finis, ils retournent chez eux d'où la difficulté pour les prêtres d'assurer une vie paroissiale régulière. "Dans le clergé, nous avons 14 nationalités différentes, dit Mgr Antoniazzi ; nous devons vivre comme les premiers chrétiens, vivre l'amour du Christ avec nos frères qui n'ont pas la même religion que nous. Ici ont vécu saint Augustin, sainte Monique, saint Cyprien. Nous sommes sur une terre aride, semi-désertique. Mon espoir c'est de pouvoir mettre en terre le plus de semences possibles pour qu'elles poussent... dans 500 ans. Saint Pierre et saint Paul n'ont pas vu les fruits des semences qu'ils avaient mises en terre mais 2 000 ans après, ces semences sont devenues des arbres !"
Les Pères Blancs se répartissent en 3 communautés, en Tunisie. Fondé en 1926, l'Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA) occupe une ancienne maison tunisoise pleine de charme au centre-ville. Centre de formation pour les missionnaires en Tunisie, l'IBLA disposait d'une bibliothèque forte de 30 000 livres dont la moitié ont été détruits dans un incendie en 2010. L'institut national du patrimoine de Tunisie participe à la restauration des locaux.
Cinq religieux travaillent à l'IBLA dont le Père André Ferré, ancien directeur du PISAI à Rome, arrivé à Tunis en 1994 : "Je suis d'un optimisme modéré devant les blocages politiques actuels, nous dit-il. La société civile tunisienne est réelle et active, elle fait entendre sa voix quand c'est nécessaire. Le rôle des femmes est important, la vie associative également. Quant aux musulmans, ils sont favorables à un islam modéré, ils sont ouverts au dialogue interreligieux et sont mal à l'aise dans un islam rigoriste".
"Nous devons faire face à trois défis, explique Nicolas Lhernould, nouveau vicaire général du diocèse de Tunis et précédemment curé de Sousse qui estime qu'il n'y a pas de tension interreligieuse dans le pays : le défi de la sécurité bien que nos églises ne soient pas visées ; le défi de l'économie qui concerne beaucoup d'européens ; le défi de la marche du quotidien, notamment éducatif, cent mille jeunes Tunisiens ayant interrompu leurs études pour apprendre la débrouille".
Dans ce contexte difficile, le Père Lhernould imagine trois enjeux : "Comment vivre la transition démocratique avec notre statut de minorité ? Nous disons aux politiciens : servez-vous de nous ! Comment vivre notre mission alors que les régions pauvres nous sont interdites et qu'actuellement nous ne sentons aucun appel du pays ? Enfin devons-nous rester ce que nous sommes au milieu de notre vocation ? Avons-nous une parole prophétique à poser au milieu de tout çà ?"
Pour résumer ces questionnements et les réponses possibles à y apporter, Nicolas Lhernould aime utiliser une boutade tunisienne : "Ici on ne fait pas ce qui est autorisé, dit-il ; on fait ce qui n'est pas interdit !"


Le père Jawad a fait alliance avec un peuple

Un orage d'enfer accompagne notre rencontre avec le Père Jawad qui nous accueille dans sa paroisse au cœur de Sousse. Ce sera la seule éclipse d'un soleil omniprésent pendant tout notre voyage.
"Jésus est né chez moi", aime-t-il à rappeler, lui le Jordanien arabe dont la famille est issue d'une tribu chrétienne du pays Moab datant de la pentecôte ! "La révolution m'a révolutionné, raconte-t-il avec une joie débordante. J'ai vécu en tant qu'Arabe d'abord une expérience forte, mélangée avec toutes les revendications identiques à celles de l'Evangile. L'Esprit-Saint travaille au-delà des frontières. Dieu mène l'Histoire à sa manière. Il veut me dire quelque chose à moi à travers un peuple. J'ai vécu l'expérience d'une alliance avec un peuple."
En Tunisie depuis 17 ans, le Père Jawad n'avait pas besoin de venir ici pour rencontrer des musulmans ; il vivait avec eux en Jordanie. Par contre, ce qu'il a découvert c'est l'immense bonheur d'être prêtre de l'Eglise catholique en terre d'islam, de dialoguer avec l'autre, de jouer avec l'autre, de découvrir "cette humanité de l'autre que je devine, de dénoncer quand je ne suis pas reconnu par l'autre".
"J'aime ce pays parce que j'aime l'Evangile, affirme le Père Jawad avec fougue ; parce que je crois que Dieu nous a fait comme des frères. Chaque fois que je dis à Dieu "Papa" je reconnais que chaque créature est mon frère".
L'école des sœurs toute proche accueille 850 élèves tous Tunisiens : "Elle existe depuis 150 ans, dit le Père Jawad. Tous les enfants y entrent musulmans et en sortent musulmans !"
Ici, au Sahel tunisien, la région côtière, l'Eglise est bien visible : "Nous avons une carte à jouer ici, dit le prêtre. Il y a beaucoup de mariages mixtes, c'est la seule présence fixe dans la paroisse. Je ne sens pas le besoin de sonner les cloches ! Quand on est sur la frontière, comme le pape François, on ne s'installe pas trop. On vit au jour le jour. Nous devons garder la fraîcheur, la légèreté de la frontière. Notre fragilité est notre force".


"Le bouchon a sauté !"

La paroisse de la Marsa, ce quartier résidentiel ultra-chic de Tunis situé à quelques kilomètres à vol d'oiseau de l'ancienne cathédrale de Carthage, est une splendeur : magnifique propriété dans un écrin de verdure dominant la baie, c'est là que nous reçoit le Père Ramon, un Père Blanc, curé de la paroisse ainsi que trois Sœurs Blanches enseignant à Tunis.
Ici, nous ne nous sentons pas dépaysés : des groupes de chrétiens engagés font vivre la paroisse, les couples mixtes sont nombreux ("un vrai cadeau de Dieu" dit le Père Ramon) ; le groupe biblique fonctionne, les catéchistes ne manquent pas, les personnes âgées ne sont pas délaissées. Bref, les paroissiens sont actifs ! Il s'agit principalement d'entrepreneurs chrétiens en Tunisie pour quelques années, de diplomates en poste pour trois ans, de retraités étrangers ayant choisi de vivre agréablement leur retraite...
Une seule ombre au tableau : la Banque Africaine de Développement (la BAD) installée à Tunis depuis une dizaine d'années va rentrer en Côte d'Ivoire. Du coup, les 1 200 familles qui dépendent de cette banque vont quitter la région. Un coup dur pour l'économie locale et pour l'Eglise, la plupart de ces cadres étant catholiques -les cadres supérieurs étant généralement membres de l'Opus Dei. Les effectifs des enfants du catéchisme fléchissent peu à peu : de 85 en 2010, ils sont passés à 70 en 2012 puis à 45 cette année. "Les entreprises étrangères n'envoient plus leurs familles, explique le Père Ramon. C'est trop cher en cas de rapatriement. Depuis la révolution, les familles qui étaient là depuis plusieurs années sont restées, les autres sont parties immédiatement".
Pour rien au monde, sœur Mélika, sœur Blanche, n'aurait abandonné son poste ! Enseignante depuis plus de 40 ans, cette grande dame française respire la joie de vivre en terre d'islam : "La révolution a d'abord été sociale, non violente, dit-elle ; tout le monde a été heureux, le bouchon a sauté. Il y a eu beaucoup de joie, de solidarité envers les régions pauvres, les camps de réfugiés libyens. Mais maintenant la nature humaine reprend ses droits ; chacun tire la couverture ; on déchante un peu !"
A Tunis, l'école française des Marianistes où travaillent les Sœurs Blanches accueille 1030 petits musulmans. Sous tutelle du ministère tunisien de l'Education, elle respecte les programmes tunisiens mais offre des cours supplémentaires de français, d'anglais et d'informatique. Payante, l'école ne reçoit aucune subvention du Vatican ou de l'Eglise catholique française. Depuis près de trois ans, sœur Franceline, venue du Burkina-Faso, travaille elle aussi à l'école : "Je ne donne pas grand chose mais je reçois beaucoup, dit-elle dans un large sourire. Nous ne vivons pas de la Parole mais de la présence d'être là".

"Ah ! Les voyages... Que c'est beau, les voyages... car nos yeux ont changé et nous sommes étonnés de voir comme nos soucis étaient simples et petits..."


http://www.chretiensdelamediterranee.com


Annette BRIERRE










jeudi 28 novembre 2013

TUNISIE : AN 2 DE LA REVOLUTION (3) - Les associations : coeur vivant du pays

Un tissu économique qui s'effondre ; des investisseurs étrangers qui rechignent à s'installer ; un nombre de chômeurs qui a doublé en deux ans passant de 500 000 à un million ; une dette publique qui augmente chaque jour ; 40 000 jeunes qui déjà ont fui le pays ; d'autres qui se laissent séduire par les sirènes du djihadisme ; un fossé qui s'accroît de jour en jour entre les régions déshéritées et celles qui bénéficient de la manne du tourisme. Quel sombre tableau ! La pauvreté gagne du terrain partout et pourtant !

Pourtant nous suffoquons sous l'avalanche d'associations rencontrées ; nous crions «pouce » après avoir couru de Tunis à Bizerte, de Monastir à l'accueillante maison de Souad, en banlieue de Sousse à la rencontre de ceux qui, loin des tribunes médiatiques, font véritablement vivre le pays.

Le monde associatif déborde d'initiatives, regorge de vitalité, de courage. La société civile résiste contre vents et marées aux chicaneries politiques : « Nous n'avons jamais connu de tels changements en si peu de temps, nous dit Fathi Touzri, secrétaire d'Etat chargé de la Jeunesse qui nous reçoit au ministère de la Jeunesse et des Sports ; tout le pays est en effervescence. Il y a différentes formes de participation à la société civile, c'est merveilleux ! »

Organiser la liberté, consolider les institutions de la république, créer un rapport plus apaisé entre la société civile et les politiques : telles sont les priorités du secrétaire d'Etat, conscient des difficultés énormes à surmonter.

En tête de ces difficultés, le chômage bien sûr : « C'est notre priorité nationale, dit M. Touzri ; le nombre de demandeurs d'emploi est extrêmement élevé et ces jeunes traversent des années de braise. Comment ne pas transformer cette impatience en alibi de violence ? La société civile intervient mais l'Etat a des ressources limitées. Sa marge de manœuvre s'arrête aux marges de manœuvres budgétaires. Les inégalités régionales, de salaires sont considérables. Beaucoup de menaces pèsent sur notre région : la violence qui vient de l'exclusion, du rejet, de l'absence de choix de vie. Cette violence peut être activée à tout moment quand ses mécanismes se mettent en place. »

Les représentants du Forum Tunisien Pour les Droits Economiques et Sociaux (Abdeljelil Bedoui, professeur d'économie à l'Université de Tunis et président du tout nouveau Observatoire Social Tunisien ; Abderramane Hedhili, président du Forum, Messaoud Ramdhani, responsable financier) ainsi que ceux de l'UGTT -Union Générale des Travailleurs Tunisiens- (Kacem Affaya, secrétaire général adjoint chargé des affaires internationales ; Sadok Heg Hassine) auxquels s'étaient joints Tarek Ben Hiba, conseiller général à Massy-Palaiseau en France et Abderrazek Belhaj Zékri, membre de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme, nous fourniront de leur côté une foule d'informations relatives à la vie syndicale, économique, sociale, politique de leur pays. Subventionné par diverses ONG dont le CCFD-Terre solidaire et OXFAM, le Forum a été la pierre angulaire de l'organisation du Forum Social mondial qui s'est tenu à Tunis en mars dernier.


70 000 ouvrières du textile

A Tunis, au siège du Forum, comme à Monastir où nous serons reçus au siège local du forum par M. Hedhili et par Hassine Mounir, président pour la région de Monastir, nous découvrirons la réalité du terrain. Celle que nous sommes venus chercher ici, celle dont ne parlent que rarement les médias.

Les militants syndicaux se sont attelés aux deux grands secteurs économiques majeurs du pays : les mines de Gafsa et les usines de textile de Monastir : « Le Forum a été créé en 2008, secrètement, pour venir en aide aux familles des mineurs en révolte du bassin minier de Gafsa, raconte M. Bedoui. Depuis la révolution, nous travaillons à visage découvert ». D'où l'immense popularité du Forum et de l'UGTT qui, par conséquent, peuvent sensibiliser l'opinion publique aux graves problèmes d'actualité : la pollution galopante dans la baie de Monastir, l'exploitation des gaz de schiste, les conditions de travail proches de l'esclavage pour les 70 000 ouvrières travaillant dans le textile dans la région de Monastir : « Le secteur du textile représente un tiers des entreprises industrielles de Tunisie, explique Hassine Mounir ; ce qui représente 20% du P.I.B. 74% sont des PME de moins de cent ouvriers et la grande majorité (86%) exportent vers l'Europe la totalité de leurs productions ». D'où leur grande fragilité : si l'Europe va mal, l'industrie textile tunisienne va mal.

Les donneurs d'ordres européens imposent leurs normes, leurs cadences, leurs prix, leurs contrats de travail -rédigés en français alors que la majorité des ouvrières, venues des régions déshéritées, analphabètes ou presque, sont incapables de comprendre ce qu'elles signent. Un exemple : une ouvrière dispose de 16 à 26 minutes pour confectionner une chemise ; son prix sortie d'usine sera de 3,5 euros, ,elle sera vendue en France entre 44 et 90 euros.

80% de ces jeunes femmes ont entre 16 et 35 ans, 61% sont célibataires et envoient 90% de leur salaire à leurs familles sans revenu : « Elles gagnent en moyenne 300 dinars par mois et en gardent 30 pour vivre ici. Elles n'ont pas assez pour manger correctement et souffrent de carences alimentaires et de troubles en tous genres » explique Hassine Mounir. Hébergées dans des foyers d'usine, elles dorment à six dans des chambres de 5 mètres carrés sans autre mobilier qu'un lit. Les espaces sanitaires et les réfectoires sont à la portion congrue.


Le désastre écologique de la baie de Monastir ne peut nous échapper : « C'est le résultat de la mondialisation, nous explique Abderramane Hedhili au bord du rivage ; le développement anarchique des entreprises internationales a pollué toute la baie. On a créé une station de traitement des eaux d'une capacité de 1 800 m3 alors qu'il en arrive 8 000 ! La salade verte prolifère dans la mer, les poissons meurent par milliers ; c'est un véritable cimetière. Des 300 pêcheurs d'autrefois, il n'en reste que 30 aujourd'hui. Nous nous battons depuis 2006 pour sauver la mer, il y a eu beaucoup de négociations mais il n'y a pas de volonté politique. »

Un secteur pourtant semble bien fonctionner : le ramassage de tonnes de sel sans iode dans les immenses lacs s'étendant entre Sousse et Monastir. Vendues à la Suède, elles serviront au salage des routes enneigées sans dommage pour les revêtements de sol !


« We love Bizerte »

A Bizerte, nouvelle facette de cette effervescence associative : nous découvrons d'autres jeunes, d'autres responsables de quelques-unes de ces 16 000 associations qui sont le cœur vivant de la Tunisie : dans la superbe Maison de sauvegarde de la médina de Bizerte nous attendent Yassine Annabi, président de l'association DERB (Développement Régional de Bizerte) qui travaille à l'égalité entre les régions est-ouest sur des créneaux économiques porteurs ; Kouloud Maknin, fondatrice de l'association « We love Bizerte » qui propose des stages à des jeunes en quête d'emploi dans les domaines du tourisme et du développement de la ville : « 250 jeunes ont déjà suivi nos stages, explique la jeune femme ; après une formation de 6 mois nous leur donnons un diplôme professionnel d'artisan grâce à des fonds américains. Plus de 50% sont des filles ». Autres interlocutrices : deux jeunes femmes membres du Croissant Rouge tunisien plus particulièrement tourné vers des formations sociales tels que le secourisme, la gestion de catastrophes naturelles ou encore les comportements à risque, l'aide aux précaires.

Et puis il y a aussi Driss Chérif, ancien employé de Total et vice-président de l'Association de Protection et de Sauvegarde du littoral de Bizerte qui s'est fait une spécialité du nettoyage des plages et de la création de sentiers de randonnées dans les forêts avoisinantes : « Chez nous, la randonnée n'existait pas, dit-il ; on cible les beaux endroits pour mettre en place des chemins près de Bizerte. La Tunisie a 1 300 kms de littoral et chez nous il est encore vierge. Il y a un gros travail à faire pour transmettre notre savoir faire ; nous avons des contacts avec le Conservatoire du littoral français ».

Demain dimanche, tous ces hommes et ces femmes de bonne volonté s'en iront de bonne heure transporter en camions vers les montagnes de l'ouest 60 citernes d'eau potable à des écoles pour que les enfants aient de l'eau à boire... Coût de l'opération : 25 000 dinars. « Avant la révolution, nos actions étaient modestes, explique le responsable ; maintenant nous avons de l'argent, 100 000 dinars par an grâce à la zakat ». L'impôt que chaque musulman est tenu de verser chaque année, l'un des cinq piliers de l'islam.

Autre paradoxe de ce pays : alors que 20% des réserves d'eau potable se trouvent dans le nord-ouest du pays, rien n'est distribué sur place. Tout est envoyé vers le sud et ses terres arides.


Les embarcations de la mort

Il y a eu encore les paroles d'espoir lancées par ce jeune architecte, Mohamed Amine, arrivé en retard parce qu'il travaillait, lui ! Heureux de participer par le biais de son agence à la sauvegarde du patrimoine de Bizerte.
Et encore Aslem Souli, 20 ans, étudiant en 2ème année de médecine, militant dans de nombreuses associations et proche d'Ettakatol, qui en 2011 vécut son baptême du feu révolutionnaire alors qu'il était encore lycéen et qui porte un regard lucide sur la situation actuelle : « La classe politique n'est pas à la hauteur, dit-il . Pour sortir de la crise économique, il y a trois solutions : une bonne gouvernance qui travaille sur le système fiscal ; que le citoyen n'attende pas que le gouvernement lui trouve du travail et que les amis de la Tunisie, l'Europe, les hommes d'affaires investissent chez nous. L'époque transitionnelle est difficile. Les jeunes sont impatients. J'aimerais qu'une élite soit à la hauteur ».

Militante d'Ennahdha, Rabeb Atig, 24 ans, étudiante en physique et journaliste occasionnelle pour « arrondir » ses fins de mois, dont le père a été emprisonné pendant 17 ans, porte le foulard depuis qu'elle a 12 ans. Aujourd'hui, après « des moments terribles avec la police » du temps de Ben Ali, elle vit librement sa foi : « Aujourd'hui, nous devons être instruits dans notre âme et notre esprit, dit-elle pleine d'enthousiasme. Je suis optimiste parce que les jeunes peuvent changer les choses, créer des places sur la scène politique ».

Interne en pédiatrie, membre du Croissant Rouge, Yassine Kalboussi, 24 ans, n'a pas « vécu le 14 janvier 2011 avec émotion » : « Je n'étais pas lésé par l'ancien régime, reconnaît-il ; j'ai eu 18 au bac, je suis entré à la fac avec la petite bourgeoisie. On était dans le flou. Maintenant on est fragile politiquement. Il y a un sentiment de peur chez les jeunes, ils sont instables. Je ne mets pas trop d'espoir dans le dialogue national dont les jeunes sont exclus. Les vraies questions, c'est l'économie, les relations avec l'Europe, les Etats-Unis, la France. »

Tous les trois sont d'accord pour dire que les droits de la femme, l'identité islamo-arabe sont des acquis qui ne posent plus de problème !

« Comment vivez-vous le départ de milliers de jeunes de la Tunisie, que faites-vous ? » a interrogé l'un de nous. Réponse embarrassée : « C'est un problème énorme, le gouvernement doit assumer ses responsabilités sur ses frontières, trouver des solutions d'urgence. A moyen et long terme, la responsabilité est partagée des deux côtés de la Méditerranée. C'est un choix politique de l'Union Européenne ». Tout de même, la compassion se fait plus forte lorsqu'il s'agit de tous ces malheureux perdus de Lampedusa : « Pour une bonne majorité, c'est une question de désespoir, dit Aslem. Le rôle des parents, des familles est important ». Rabeb raconte comment des mères ayant vendu de l'or et des bijoux pour payer le passage de leurs enfants sont allées manifester contre des policiers qui avaient empêché ces enfants de monter dans les embarcations de la mort...

Sont-ils représentatifs des 40% des moins de 25 ans, ces jeunes venus nous dire leur espérance ?


« On s'en fout du passé ! »
D'autres encore, rencontrés lors d'une soirée mémorable près de Sousse, chez l'amie Souad, maîtresse de maison ouverte et cultivée qui avait réuni autour d'elle une bonne vingtaine d'amis militant dans un fourmillement d'associations. On s'entasse sur les divans, on ajoute des chaises, on se serre les coudes,on monte la « clim » et la soirée s'envole dans une chaleureuse ambiance fraternelle: « Notre association s'occupe avant tout de culture et d'ouverture, explique Souad. Nous travaillons surtout l'approfondissement de la culture de l'identité ». Des colloques sur les droits de l'homme, des mouvements d'étudiants, la rédaction de livres pour enfants, des réalisations de pièces de théâtre : ici tout tourne autour de la culture.

Les toute jeunettes Tounissiet s'engagent à fond, elles, dans le développement personnel de leurs congénères : formation en deux ans des futures leaders féminines, apprentissage de la confiance en soi, débats sur la constitution, les droits de l'homme, l'héritage, les enfants abandonnés, les femmes rurales etc. Elles s'activent aussi autour du thème « islam et démocratie ». Ici, la plupart portent le foulard.

Un monsieur nous parle avec passion de son Association Internationale de soutien aux prisonniers politiques qui travaille à la réintégration des quelque 20 000 ex prisonniers dans la société civile en élaborant des micro-projets « pour relancer leur vie ». Un centre de réhabilitation, dont le projet est porté par un psychiatre présent lui aussi, devrait voir le jour prochainement. Il y a encore le Forum des savoirs qui propose des activités purement culturelles ; et l'association des Droits de l'Homme qui travaille sur liberté/équité. Et l'Observatoire tunisien des prisons. Et l'association Tawassol qui vient en aide aux handicapés et à leurs familles... Et encore, encore...

« On s'en fout du passé ! lance une jeune fille en foulard ; je veux de l'espoir dans une Tunisie qui accepte toutes nos différences ! »

« Vous voyez cette excellente floraison d'associations, conclut Souad. Dites-le en France ! Véhiculez une autre image ! »

A l'extérieur, au bout d'un chemin boueux nous attend notre bus. Il est 23 heures.
A ses côtés, une voiture de police ; deux hommes armés de fusils nous protègent.
Ce matin, sur une plage de Sousse, un gamin kamikaze est mort de désespoir.



Annette BRIERRE







mardi 26 novembre 2013

TUNISIE : AN 2 DE LA REVOLUTION (2) - La facture de 50 ans de dictature

Au soir du cinquième jour, à l'hôtel Marhaba beach de Sousse, les têtes commencent à tourner.

A mi-parcours du voyage, les idées s'entrechoquent, les images se superposent, les sentiments et les impressions s'amoncellent et s'embrouillent, deviennent confus...La surchauffe nous guette. On s'imagine en « essoreuse à salade », en « kaléidoscope », on a le tournis, on réclame du temps pour digérer, du silence, un comprimé pour soulager sa tête... D'autant que, ce matin à quelques centaines de mètres de notre hôtel, un lycéen kamikaze est mort sur une plage toute proche sans avoir pu activer sa bombe dans le hall de l'hôtel où le personnel l'avait repéré ; parti en courant vers la mer, il est mort en gardant son secret : a-t-il actionné lui-même sa bombe ou, comme l'ont suggéré dès le lendemain les médias tunisiens, l'engin explosif a-t-il été actionné à distance ? L'enquête le dira peut-être...

Quelques heures plus tard à Monastir, à quelques encablures, un autre lycéen était arrêté au moment où il tentait de déposer une bombe au mausolée de Habib Bourguiba.

Ces deux incidents dramatiques prouvent à quel point la situation politique est instable, fragile. A tout moment, la cocotte minute peut exploser.

Tout au long de notre voyage, nous tenterons, autant que faire ce peut, d'entrer le plus honnêtement possible dans ce dédale de convictions, de paroles contradictoires, parfois extrêmes d'un bord comme de l'autre. Difficile de se faire une opinion à peu près exacte de la situation réelle. Il faut accepter de mettre notre rationalité occidentale en veilleuse, d'adapter notre sens critique aux seules réalités locales et surtout de ne pas comparer avec la réalité française...


Au cœur du pouvoir

Samedi matin, à notre arrivée, nous étions reçus au Palais du Bardo, l'ancienne résidence des beys de Tunis, siège de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), par Merhézia Labidi que certains d'entre nous connaissent de longue date pour avoir partagé avec elle en France principalement de nombreuses et belles rencontres interreligieuses. Première vice-présidente de l'ANC, Merhézia a été élue députée au titre des Tunisiens de France sur la liste du parti Ennahdha, majoritaire au Parlement, aujourd'hui cible de critiques émanant de tous bords.

Accompagnée par deux amies députées d'Ennahdha -Aïcha Dhaoudi qui a connu la prison du temps de Ben Ali et Latifa Habachi, avocate- Merhézia a tout d'abord dit toute sa gratitude à ceux et celles qui lui ont permis d'être aujourd'hui la femme politique qu'elle est devenue : la Fraternité franciscaine, le Groupe Orsay, Religions pour la paix entre autres : « J'ai fait l'expérience de rencontrer l'autre, de croire différemment, de vivre différemment, de la politique différente », a-t-elle expliqué, rappelant que, pendant 25 ans, elle avait vécu la démocratie en France : « Je suis allée chercher un trésor ailleurs pour découvrir qu'il est chez nous ». Pour elle, « tous les éléments démocratiques existent en Tunisie ». Ne manquaient qu'une atmosphère saine, plurielle du temps de Ben Ali, le plus grand obstacle étant la méfiance.

Coincée entre deux géants, la Libye et l'Algérie, la petite Tunisie qui n'a pas de pétrole doit à son tour faire face aux deux fléaux internationaux : l'insécurité et le terrorisme. Par sa porosité avec la frontière libyenne, la Tunisie est devenue un lieu de passage pour des djihadistes entraînés et suréquipés se rendant soit en Afrique subsaharienne (Mali, Niger...) soit en Algérie. Cantonnés dans les monts Chaamli, au nord ouest de la Tunisie, ils ont transformé ces zones arides en lieux de combat avec des forces de l'ordre tunisiennes sous équipées et mal formées qui tentent de les déloger. Les accrochages sont fréquents. D'où d'importantes pertes humaines parmi les policiers, de plus en plus mal acceptées par la population tunisienne.

Quant au terrorisme -nous en avons été témoins- il s'est développé avec l'assassinat de Chokri Belaïd, un universitaire, en février et d'un député de l'opposition le 25 juillet dernier, Mohamed Brahmi, sans oublier les tentatives d'attentats perpétrés par ces jeunes « fous de Dieu » manipulés par des salafistes extrémistes leur faisant miroiter un départ pour la Syrie où ils rejoindraient les rangs de la rébellion djihadiste. L'armée, contrairement à l'Egypte, se tient à l'écart de la politique. Cinquante personnalités politiques, dont Merhézia Labidi, sont placées sous surveillance policière.


Des petits pas positifs


Notre rencontre au palais du Bardo a coïncidé, par chance, avec la reprise des débats des parlementaires, suspendus depuis un mois par le président de l'ANC : « Il y a eu beaucoup de sagesse dans cette décision de suspension, estime la vice-présidente de l'ANC. Cela a permis à des initiatives de dialogue de se mettre en place ; surtout celle représentée par le Quartet ».

La feuille de route élaborée par le Quartet (composé du syndicat patronal UTICA, du puissant syndicat UGTT fort de 800 000 adhérents, de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme et de l'Ordre des avocats, toujours resté politiquement indépendant) et portée par le « dialogue national » doit permettre d'obtenir que l'ANC mette rapidement un point final à la Constitution, sur le feu depuis plus de deux ans, de former l'instance qui gérera les prochaines élections, de fixer la date de ces élections ; parallèlement le chef du gouvernement doit démissionner ainsi que son gouvernement. Un nouveau Premier ministre doit être élu pour 6 mois et son gouvernement désigné.

Pendant notre séjour, plusieurs petits pas ont été accomplis positivement : le redémarrage des travaux de l'ANC, la cinquantaine de députés de l'opposition qui s'étaient retirés de l'Assemblée depuis trois mois en signe de protestation après l'assassinat de leur collègue Mohamed Brahmi, ont réintégré leurs sièges dans l'hémicycle, sous les applaudissements de leurs collègues ; le fameux article 141 du projet de Constitution qui faisait couler des flots d'encre tant il paraissait dangereux pour la démocratie (« l'islam est la religion de l'Etat ») a finalement été retiré du projet. Un bi-national pourra se présenter à la Présidence de la République, quitte à abandonner sa seconde nationalité en cas de victoire.

Par contre les représentants des différents partis n'ont pas pu se mettre d'accord sur le nom du futur Premier ministre, Ennahdha, minoritaire cette fois, s'obstinant à voter pour Mohamed Mestiri, l'opposition se montrant incapable de se rassembler sur un nom... D'où le renvoi sine die de cette question cruciale. D'où un nouveau blocage dans le processus de mise en place d'un gouvernement stable et pérenne.

« 500 mosquées données aux djihadistes »


Mohamed Kamel Jendoubi qui présida l'Instance Supérieure Indépendante (ISI) pour les élections du 23 octobre 2011 et qui se réclame de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme, estime que « si l'Etat ne donne pas les moyens de faire l'élection, il n'y aura pas d'élection ». Son analyse de la situation présente n'est guère optimiste : « L'ANC s'est accaparée tous les pouvoirs, nous ne pouvons rien faire, dit-il. L'immaturité est affligeante. Ennahdha a donné près de 500 mosquées aux djihadistes. Que veulent-ils faire ? L'avenir se construit où : au Qatar et en Arabie Saoudite, les parrains de la transition démocratique ?Quant aux jeunes, ils ont osé informer mais maintenant il y a trop de désinformation par les réseaux sociaux. » Avec 1,7 million d'analphabètes, le pays risque de prêter le flanc à bien des dérives lors des prochaines élections. Pourtant, Kamel Jendoubi atténue ses propos à l'égard du parti majoritaire : « Je souhaite qu'Ennahdha soit divisé en deux ou trois, dit-il ; pas qu'il explose ».

Karima Souid et Samir Taieb, tous deux députés de l'opposition, membres du parti Al Masar proche du Parti Communiste, font partie de cette cinquantaine d'élus à avoir déserté l'hémicycle pendant trois mois. Ils viennent de le réintégrer. Née aux Minguettes, ce quartier populaire de la banlieue lyonnaise, Karima Souid, bi-nationale, avoue son handicap de ne pas « lire l'arabe ». D'abord membre du parti Ettakatol dont elle partageait les valeurs, la jeune femme a rejoint les rangs du parti El Masar, estimant qu'Ettakatol, l'un des partis de la troïka au pouvoir, « s'était laissé dominer par les islamistes d'Ennahdha ».

Médecin radiologue, cette jeune femme députée découvre elle aussi la politique en même temps que la révolution. Inscrite dans un petit parti de centre droit qui n'a récolté que 80 000 voix aux élections et a obtenu 4 sièges, elle appartient à la commission du consensus de l'ANC qui travaille actuellement à la préservation des acquis concernant les conventions internationales signées par la Tunisie et que certains voudraient remettre en cause. Vieux routier de la politique, Samir Taieb affirme : « Nous ne sommes pas des éradicateurs, nous souhaitons qu'Ennahdha ait une place importante sur l'échiquier politique ! Aujourd'hui, il se comporte comme le RCD, l'ancien parti au pouvoir de Ben Ali. Ennahdha doit intégrer l'opposition pour un certain temps, pour apprendre la démocratie ».

Ce que souhaitent ces élus de l'opposition, y compris Bochra Belhajda, avocate, féministe très présente dans les médias y compris français et membre du parti Nidaa Tounes, le nouveau parti de gauche qui a le vent en poupe, c'est avant tout se regrouper pour affronter plus forts le parti majoritaire et faire aboutir leurs idées : « Nous ne pouvons pas construire une société avec un seul parti, estime l'avocate ; nous avons une expérience exceptionnelle de gens venant de tous horizons avec lesquels nous pouvons fonctionner. La troïka croyait représenter tout le monde, ce qui est faux ».

Tous réclament davantage de fermeté face au terrorisme : « Nous sommes en guerre contre le terrorisme, disent-ils ; nous sommes au stade des ceintures explosives ; en face de cela, il n'y a pas de véritable politique gouvernementale. L'ANC n'a pas condamné le terrorisme. Il y a une grande tolérance à l'égard de la violence ».



« Le courage politique nous manque »

Petit-fils de Dolores Ibarruri, la célèbre « Pasionaria », héroïne de la guerre civile espagnole déportée à Dachau et d'un grand père également héros de la République espagnole, Khayam Turki apparaît comme un homme-pont entre deux modes de pensée, entre deux mondes : l'arabo-musulman et l'occidental.

Secrétaire général adjoint d'Ettakatol, ce quadragénaire diplômé de Sciences-Po Paris, de l'IHEC et de l'Université américaine du Caire se passionne pour le monde de l'économie et des finances et marche sur les traces de son père, diplomate tunisien.

Avec beaucoup d'émotion, il nous dit son « ambivalence interne : entre joie extrême et beaucoup de tristesse » face à la situation actuelle. Joie extrême devant le soulèvement populaire pacifique et grande tristesse de voir que les pauvres qui ont fait cette révolution sont aujourd'hui oubliés. Comment oublier tous ces jeunes morts à moins de 100 kms de Tunis, en quête d'un eldorado que, pour beaucoup, ils n'atteindront jamais ?

« Depuis deux ans, on se dispute sur une bipolarité idéologique, dit Khayam Turki. Dans l'arrière-boutique, ils nous attendent. Cette terre ne nous a jamais habitués à des conflits sanglants. Tout est fragile. Bourguiba a cru que pour être démocrate il fallait bousculer notre identité. On a peur parce qu'on n'a pas de sauveur. Notre sauveur, c'est la Constitution ! Une partie bien formée de la population sait que c'est une chance inouïe, d'où notre angoisse actuelle. Chacun de nous a vécu sa révolution, un sentiment de chaos pour les uns, d'inachevé pour les autres. A l'intérieur de l'ANC, il y a 217 ADN différents. La Constitution doit être la photo de la Tunisie dans 50-60 ans, pas seulement de celle d'aujourd'hui. »

Fort du recul que lui procure sa position internationale, Khayam Turki s'interroge sur les moyens de réduire la fracture sociale qui ne cesse de s'aggraver entre les régions : « La seule façon de développer une région pauvre, estime-t-il, c'est de créer une élite locale, des entrepreneurs locaux ; il faut promouvoir un club des pays démocratiques capable d'inciter les autres pays à devenir démocratiques ; que la Tunisie puisse devenir le chantre du combat contre les dettes odieuses ; que la Tunisie joue un rôle de médiateur dans les conflits internationaux ; que la Tunisie devienne le siège d'un observatoire de la femme arabe et musulmane. »

« Le courage politique nous manque, dit encore le petit-fils de la Pasionaria. La jeunesse veut vivre autre chose. Par pudeur, ils respectent les anciens qui se bousculent au portillon. L'élection à venir est la dernière pour ces gens-là. Ils iront s'affronter une dernière fois. Nous sommes en train de payer la facture de 50 ans de dictature ».


En quelques rencontres, nous aurons accueilli un spectre très large d'arguments politiques défendus par les uns et les autres pour aider la Tunisie à sortir de son marasme actuel. Chacun présente ses solutions, soutient ses thèses, développe ses théories...

La politique est un art difficile qui requiert du temps et de la patience...




Annette BRIERRE





TUNISIE : AN 2 DE LA REVOLUTION (1) - Le temps du partage

Envie de faire partager ce voyage en Tunisie à ceux qui aime le monde arabe et ses incroyables richesses. A ceux qui acceptent de se décentrer de leurs a priori et de leurs certitudes souvent mortifères...
Envie de raconter ce que furent ces journées consacrées à la rencontre d'ailleurs si proches et pourtant si complexes.
Au retour d'un voyage d'études -du 25 octobre au 3 novembre- proposé par l'association "Chrétiens de la Méditerranée" en partenariat avec le CCFD-Terre solidaire et l'association "Chemins de dialogue", j'ai rédigé une série de quatre articles constituant un reportage écrit au plus près des réalités tunisiennes. En toute liberté.


Le site archéologique de Dougga au nord ouest. Au fond, la frontière algérienne. ©DR

    

On rêvait d'un voyage. Ce fut une odyssée, une aventure multiforme qui portait « aux rivages lointains, aux rêves incertains » et, tout doucement sans y prendre garde ce fut un « monde nouveau qui s'ouvre à nos cerveaux » comme le chante Barbara.

Peu à peu cette odyssée s'incarnait en « petit djihad », comme une insensible et bienfaisante révolution intérieure...



Ce troisième voyage proposé par « Chrétiens de la Méditerranée » s'inscrivait tout naturellement dans le droit fil des précédents : le Liban pour de jeunes adultes en 2009, l'Egypte en 2012 et maintenant la Tunisie en 2013 en attendant la Palestine en 2014.

Nous étions 40 (25 venus de Paris et sa région, 15 de Marseille et sa région) à nous être laissés séduire par cet alléchant « voyage d'études » organisé par le réseau « Chrétiens de la Méditerranée » avec la participation de la revue marseillaise « Chemins de dialogue » et du CCFD-Terre Solidaire. Le trio pensant (Josette Gazzaniga, Jean-Claude Petit et Patrick Gérault) avait bien concocté le programme : d'abord nous faire rencontrer des hommes et des femmes politiques de haut niveau pour nous permettre de mieux appréhender les problèmes auxquels nous serions confrontés par la suite : économiques, sociaux, culturels, religieux entre autres.

Jean-Claude Petit, journaliste et président de « Chrétiens de la Méditerranée, le réseau citoyen des acteurs de paix » ne cessa de le dire et le redire à chacun de nos interlocuteurs tunisiens : «Nous sommes des citoyens, amis du monde arabe ».

 « Nous sommes favorables au dialogue du monde arabe et du monde chrétien pour la paix » ajoutait-il pour nos amis religieux.

De fait, ce voyage ne fut qu'une longue illustration de cette affirmation. Citoyens, laïcs, bien souvent engagés dans divers mouvements et associations, nous avons peu à peu découvert, absorbé, intégré, apprivoisé, aimé cette culture arabo-musulmane qui enserre tout le Maghreb et dont, bien souvent, nous ne connaissons que des bribes, voire des caricatures déformantes.

Certes, dix jours ne suffisent pas pour prétendre connaître un pays dans toute sa complexité mais au moins avons-nous eu le loisir d'en deviner quelques facettes.

Comment faire abstraction des 3 000 ans de civilisations d'une richesse prodigieuse qui ont façonné ce pays, en ont modelé tant les paysages que les hommes ? Comment oublier ces sarcophages phéniciens d'Utique dont les lourdes pierres furent apportées des montagnes voisines et cette émouvante nécropole du Tophet de Carthage où, vraisemblablement, des enfants furent sacrifiés aux divinités païennes ? Comment ne pas imaginer l'aqueduc long de 132 kms construit par l'empereur romain Hadrien, au 2ème siècle après J.C. qui transportait l'eau des monts de l'Atlas jusqu'à Carthage alors qu'aujourd'hui les enfants des écoles n'ont pas d'eau potable dans ces régions déshéritées ? Et, splendeur totale, surtout garder en mémoire, dans le cœur, ces centaines de mosaïques semblables à des tableaux qui, partout ornent de leur délicatesse les villas, les maisons, les murs des musées, témoignages de civilisations au summum du raffinement.



Summum du raffinement aussi que cette soirée offerte par l'Ensemble Vocal Aloes nous donnant un magnifique aperçu de son concert intitulé « Nafass », -le « souffle » en arabe et en hébreu. Une musique, des chants à l'universelle humanité.

Quelle belle leçon d'humanité partagée également que cette autre soirée musicale animée à notre hôtel de Carthage par un trio de tunisiennes talentueuses jouant de la musique traditionnelle ! Personne ne résista à l'appel de ces rythmes orientaux ; ni notre amie Africaine Irène qui donna l'élan, ni les serveurs du restaurant, ni le chef cuisinier, ni le réceptionniste, ni la jeune serveuse intimidée, ni même les deux petits plongeurs dansant avec leurs gants de protection !

Alors quoi ? Il ne nous restait plus qu'à nous, Français un peu intellos, un peu bridés dans nos élans corporels, un peu sur notre quant-à-soi occidental, à repousser les chaises et les tables, à faire place nette et à nous lancer dans la sarabande... le temps d'oublier ! Le temps du partage...




Annette BRIERRE







      

mardi 1 octobre 2013

Mon mari d'antan

L'appellation "mon ex", "ton ex" m'a toujours mise mal à l'aise. Comme si le conjoint -car c'est de lui, d'elle qu'il s'agit- avait été jeté comme un vulgaire kleenex. Hop ! à la poubelle. Comme si tous les événements, heureux ou malheureux, vécus ensemble tombaient tout droit dans les oubliettes de l'Histoire...
Non. Il faut être bien innocent des choses du cœur pour croire qu'il est anodin de se séparer de celui ou de celle dont on a partagé la vie. Même momentanément.
Dire "mon ex" me semble d'une désinvolture coupable. Sans mesurer la profondeur d'un chagrin, d'un désespoir même qui peut assombrir la vie de l'autre pour de nombreuses années. Pour toujours, souvent.
Une jeune amie vient de me donner une partie de la résolution de ce douloureux problème : le mari envolé, ou la femme évaporée, s'appelle désormais "mon mari d'antan", "ma femme d'antan". Merveilleuse utilisation des mots !
Il reste "mon" (pour l'éternité diront les croyants convaincus), "mari" (du moins pour ceux qui sont passés devant M. le maire et éventuellement M. le curé) et devient "d'antan" plutôt que"ex", ce qui vous a tout de même une autre allure, avec ce petit parfum désuet fleurant bon la littérature et les belles manières ; çà vous a un petit côté Paul Géraldy qui vous fait ravaler vos larmes...
Et puis voilà que ressurgit à la mémoire cette inoubliable ballade de François Villon si bellement chantée par l'ami Brassens "... mais où sont les neiges d'antan..."
La ballade des dames du temps jadis...
Mon mari de jadis !

Nanette

mardi 17 septembre 2013

Maudit Noël !

L'automne n'est pas encore là mais, déjà, dans les esprits, nombreux sommes-nous à penser à Noël. Pas aux vacances, non ! Nous en sortons à peine. Et il y a celles de la Toussaint qui déjà pointent le bout de leur nez.
Ce que j'entends ici et là, surtout chez mes amies de ma génération, c'est une sorte de souffrance très discrète, tue le plus souvent, mais enkystée dans le cœur : "Et toi, que vas-tu faire à Noël ?" Que de tristesse derrière cette interrogation apparemment anodine ! Que de désillusions élégamment cachées derrière un bel esprit d'indépendance qui en bluffe plus d'un !
Amies de cœur, sœurs choisies pour votre courage et votre capacité à dissimuler vos larmes, comme je vous comprends et vous aime ! Déjà on parle autour de nous de réunion de famille dans la belle propriété de campagne, toutes générations rassemblées ; à l'étage des enfants, on découvre que les uns partent à Cuba, d'autres aux Canaries ou aux îles du Cap Vert ; les billets sont pris depuis longtemps pour peser moins lourds sur les finances. D'autres encore ont retenu un gite dans une station de ski où ils retrouveront une bande d'amis.
On nous en a averti à temps pour qu'on puisse "prendre nos dispositions"...
Alors, puisqu'on sait, pourquoi ce gros pincement au cœur qui, jusqu'à Noël, ne nous quittera plus ?
La réponse est très simple : Noël, c'est avant tout LA fête de notre enfance. La petite enfance, celle qui compte dans les souvenirs. Celle qui va jusqu'à l'adolescence. Parce qu'après, ce n'est plus pareil. Les parents ont perdu cet aura qui nous émerveillait. Souvent, ce sont même devenus des ennemis, éphémères certes, mais sacrément encombrants.
Mes Noëls à moi, c'est tout bête : c'est, bien encapuchonnée,  les 2 kms à pied sur la route enneigée qui nous conduisait à l'église de notre village de Normandie pour entendre chanter "Minuit chrétien" et "Il est né, le divin enfant" puis le retour dans notre grande maison froide, sans chauffage ni eau courante. C'est ensuite le chocolat chaud dans lequel nous trempions les tranches de cramique, ce gros gâteau du Nord confectionné chaque Noël par Maman et que tous, les 5 enfants et les parents, nous dégustions avec la même gourmandise qu'un foie gras arrosé de Sauternes...Après ce réveillon inoubliable, nous allions nous coucher après que Papa eut bassiné chacun de nos lits.
 C'est encore les cadeaux ! Parlons-en de ceux-là. Chacun raconte ses souvenirs d'orange entourée d'un bolduc ou d'un crayon de couleur transfiguré en stylo Mont-Blanc tout en or...
Oui, nous avons connu ces temps d'après-guerre mais nous ne savions pas que nous vivions chichement. Et personne ne me fera oublier la grande joie des parents au matin de Noël où chacun de nous, les enfants, se mettait à quatre pattes devant la porte ouverte du poêle à bois en criant de toutes nos forces : "Merci, Père Noël !"
Oui, je sais, chacun peut raconter de tels souvenirs.
Mais à qui les raconter quand les familles s'éparpillent aux quatre coins de la planète, quand il faut se partager entre les familles décomposées-recomposées, les vraies belles-mères et les fausses grand'mères ?
Maudit Noël, diraient les Québécois comme ils disent "maudits Français" à nos compatriotes trop arrogants.
Maudit Noël pour toutes celles qui devront, encore une fois, faire preuve de courage et garder la tête haute pour ne pas pleurer.

Nanette

vendredi 26 juillet 2013

TUNISIE : le projet de Constitution au crible du Conseil de l'Europe

Avec ce nouvel assassinat d'un leader politique de l'opposition de gauche, hier à Tunis, les esprits à nouveau s'enflamment et l'installation d'une démocratie apaisée apparaît plus fragile que jamais. Certes la Tunisie n'est pas l'Egypte et on peut légitimement espérer que le sens de la négociation et du compromis l'emporteront sur le chaos mais je voudrais proposer aux commentateurs, journalistes, politologues et experts de tous calibres de lire in extenso, pour une fois, le document passionnant que le Conseil de l'Europe via la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) vient de rédiger à la demande du Président de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), M. Mustapha Ben Jaafar.
Le 3 juin dernier, M. Ben Jaafar a sollicité l'avis de la Commission de Venise, composée de onze juristes experts européens, sur le projet final de la constitution de la République tunisienne, sur laquelle travaillent les députés de l'ANC depuis plus d'un an et demi. Ce rapport long de 40 pages analyse dans le détail la totalité des articles rédigés par les députés tunisiens et y apporte des observations tout à fait passionnantes. Les rapporteurs proposent "certaines suggestions ne visant qu'à apporter une assistance à l'Assemblée Constituante" peut-on lire dans le préambule de ce rapport d'une extraordinaire finesse et rigueur juridiques. Si les députés tunisiens tiennent compte de ces suggestions et observations, la nouvelle constitution serait alors parfaitement conforme aux principes démocratiques qui régissent le droit international tout en acceptant que l'islam soit reconnu comme "religion du pays". La Tunisie deviendrait sans conteste le premier pays arabe à accéder véritablement au rang des démocraties modernes.
Les rapporteurs européens ont rendu leur copie le 17 juillet pour que les travaux de l'ANC concernant cette constitution puissent être terminés avant octobre 2013.
Le texte intégral de ce rapport de la Commission de Venise est accessible sur internet ! Il suffit d'avoir envie de le lire...
A longueur de journée, et plus particulièrement depuis l'assassinat hier de Mohamed Bramhi, on entend dire que le projet de constitution est au point mort, que les députés de l'ANC s'occupent de bien d'autres choses que de la constitution, que chacun  tire à hue et à dia pour freiner le processus démocratique etc... Tout cela est certainement vrai.
Mais il m'a semblé tout de même intéressant de prouver que des travaux sérieux et honnêtes intellectuellement sont réalisés, loin des agitations politico-médiatiques...
Ce rapport est à consommer sans modération !

Nanette

lundi 22 juillet 2013

Le doigt de Christopher

Cet homme-là ne peut pas être un tricheur. On aura beau analyser son sang, ses urines et Dieu sait quoi encore, Christopher Froome ne sera pas convaincu de dopage, j'en mettrais presque ma tête sur le billot...
Pourquoi une telle certitude alors qu'il faut attendre trois semaines pour que les laboratoires détenteurs des précieux prélèvements rendent leur verdict ? Parce que Christopher Froome, vainqueur du 100è Tour de France, s'est émerveillé comme un enfant, hier soir sur les Champs-Elysées. Remontant les Champs à toute allure alors que le soleil embrasait l'Arc de Triomphe, il leva soudain la tête et pointa du doigt la patrouille de France qui survolait la plus belle avenue du monde en laissant dans le ciel ces longs lacets de fumée tricolores que l'on connait si bien.
Emerveillé comme le petit prince devant sa rose, Christopher Froome semblait ne plus ressentir la fatigue accumulée tout au long de ces 3404 kilomètres qu'il venait d'avaler avec une facilité déconcertante pendant ces trois semaines. A-t-il triché ? S'est-il dopé avec tant de discrétion qu'il puisse passer à travers les mailles des filets les plus efficaces ?
Ce doigt d'enfant plein de fraîcheur, ce regard émerveillé et, un peu plus tard sur le podium des vainqueurs, ce sourire éclatant de gentillesse et comme surpris par tant de bonheur ne peuvent pas appartenir à un vilain garçon ! Et que dire de sa douce fiancée, elle aussi fraîche comme une rose énamourée, si bellement accordée à lui ?
Il vient de Johannesburg, l'une des villes les plus dangereuses du monde, il a 28 ans, il a tenu tête aux sifflets, aux injures entendus sur le Tour contre lui qu'on soupçonnait de dopage après l'avoir vu s'envoler au mont Ventoux ; malgré tout il a gagné de la plus belle manière, avec la grâce, le charme d'un athlète irréprochable.

Nanette

mardi 28 mai 2013

Le Sacre du printemps, enfin !

C'était il y a un siècle. Cent ans tout ronds !
Le 29 mai 1913, sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées à Paris, Igor Stravinsky donnait en création mondiale son "Sacre du printemps" dansé par le génial Nijinski, et le tout-Paris culturel s'enflammait contre cette œuvre révolutionnaire, véritable hymne païen rendu à la nature. On eut droit à une nouvelle "bataille d'Hernani", déclenchée quelques années plus tôt entre les partisans et les adversaires de Victor Hugo, auteur de cette pièce qui restera dans l'histoire littéraire du XIX ème siècle comme "la querelle des anciens et des modernes".
Plus personne aujourd'hui n'aurait l'idée ou l'envie de contester le chef d'œuvre de Stravinsky dont il existe plus de deux cents chorégraphies différentes à travers le monde. Les deux plus fascinantes étant encore celle de Maurice Béjart, datant de 1959, et celle d'une beauté absolue, de Pina Bausch, écrite en 1975. Et comment oublier la version dirigée par Pierre Boulez à la tête de l'orchestre de Cleveland, devenue la référence incontournable.

Cent ans ont passé. Avec eux, deux guerres mondiales ayant fait 70 millions de morts.
Et nous voilà, nous Français, affrontés à une nouvelle "bataille d'Hernani", certes au petit pied mais tout de même... Qui sont les "anciens" ? Qui sont les "modernes" dans ces affrontements à répétition autour de la loi instaurant le mariage pour tous ? Depuis six mois, nous nous étripons, nous débattons, nous ferraillons, dans les rues, au Parlement, dans des débats médiatiques sans fin, dans les familles et dans toutes les chaumières de France et de Navarre autour d'une question qui concerne... 0,6% des couples. Décidément, la France est un pays bien étrange...
Le temps, là aussi, "fera son œuvre" et les jeunes générations d'enfants des beaux quartiers, de la moyenne bourgeoisie de province, de toute cette France profonde d'habitude muette qui défilent sous les bannières de la "manif pour tous", vont découvrir les joies de l'engagement, du débat politique, des discussions passionnées autour de grandes questions sociétales. Tous ceux que nous avons vus, sur l'Esplanade des Invalides, au Champ-de-Mars, dans les rues parisiennes, enfants sur les épaules, poussettes en avant, drapeaux et oriflammes fièrement balancés au vent de l'histoire constituent maintenant une force vive dont il faudra tenir compte.
Peut-être s'agit-il d'un mouvement de fond ? Peut-être n'est-ce qu'un feu de paille que certains s'empresseront de récupérer politiquement ? Difficile de faire un pronostic.
L'Eglise de France ne sort pas grandie de cette affaire ; trop d'évêques se sont investis dans ces actions partisanes. Ils auraient du se limiter à leur prise de position initiale collective rappelant les fondamentaux de l'institution sans omettre les principes évangéliques.
Mais tandis que se déroule cette bataille dans un verre d'eau, la barbarie s'étale sur nos écrans : des fous d'Allah font sauter des voitures piégées un peu partout dans le monde, un soldat britannique est assassiné en pleine rue à Londres à coups de hachoir de boucher, des marathoniens meurent à New York par la folie de jeunes illuminés, des enfants sont pris en otage dans des écoles et on compte déjà cent mille morts en Syrie, face à un Occident tétanisé et impuissant.

Alors, oui, que vive le Sacre du printemps, cet hymne à la Vie dans ce qu'elle a de plus radical, de plus exigeant, de plus exaltant. Elle est notre origine et notre joie.

Nanette

jeudi 23 mai 2013

Maréchal, nous voilà !

Dimanche prochain, 26 mai, venant de toute la France,  ils vont déferler sur Paris par TGV entiers. Des centaines de milliers de papas, de mamans, d'enfants dans les bras, les poussettes occuperont le pavé pour défendre la famille traditionnelle. Ce sera une nouvelle fois "la manif pour tous".
Bon, on commence à être habitués. La loi sur le mariage pour tous est votée, le Conseil Constitutionnel a donné un avis favorable, le Président de la République a promulgué la loi mais eux, les farouches, les indéracinables, les inamovibles dans leurs convictions, ils ne lâchent rien !
C'est leur droit, après tout.
Ce qui me titille, mais c'est mon mauvais esprit qui me susurre cette pensée dans l'oreille, c'est que dimanche prochain, on célèbre toutes les mamans ! Ce sera "la fête des mères", inventée par le Maréchal Pétain...
Honni soit qui mal y pense...

Nanette

jeudi 16 mai 2013

Trocadero : vu du ciel

Ce qui s'est passé au Trocadero (sans accent, s'il vous plaît, puisqu'il s'agit d'un bourg andalou, situé dans la baie de Cadix et dont les forts furent enlevés en 1823 par les troupes françaises du duc d'Angoulême) laisse pantois. Un tel déferlement de violence de la part d'une bande de casseurs quasi professionnels pour saccager tout un quartier huppé, parmi les plus beaux de Paris, prouve, si besoin en était encore, la profondeur du malaise qui habite une part de plus en plus importante de la jeunesse désoeuvrée.
Les images de ces scènes de pillage,  de cette dévastation, de la mise à sac d'un bus de touristes auxquels on a volé tous leurs bagages rangés dans la soute, de l'acharnement d'une violence inouïe à détruire tout ce qui se trouvait à portée de barre de fer, ces images ont fait le tour du monde... Qu'en pensent les Qataris qui injectent des millions de dollars dans le PSG et ses footballeurs multimillionnaires, alors qu'ils espéraient des images d'une équipe victorieuse portant haut un trophée vaillamment gagné sur fond de Tour Eiffel, cliché idéal pour la promotion de leur pays-confetti gorgé d'or noir ?

Au cimetière de Passy, surplombant la place du Trocadero, deux amis très chers reposent en paix depuis quelques années. Lui fut un grand Résistant, torturé par les nazis, déporté en Allemagne et rentré en France dans le funeste "train de la mort". Il avait 20 ans et sa vie ne fut qu'un long calvaire. Elle, sa femme, Résistante également et psychanalyste de grand talent, analysée par un élève de Freud, active jusqu'à 80 ans passés. Une de ces fortes personnalités qui a consacré sa vie à accoucher des centaines d'êtres en mal d'humanité.
Impossible de ne pas penser à eux, en cette triste soirée de carnage, de gâchis : qu'auraient-ils dit, comment auraient-ils réagi devant ce spectacle désolant d'une France déchirée, affaiblie, en proie à ses démons les plus misérables ? Ils me manquent. J'aimerais entendre de leur part une parole d'intelligence, d'érudition, de mise à distance, de rapport au fric, ce fric qui pervertit tout,  de morale civique, de fermeté aussi. Une parole de belle humanité qui redonne du cœur à l'ouvrage...
De leur ciel, ils ont tout vu. Et je ne peux m'empêcher de pleurer avec eux...

Nanette

lundi 29 avril 2013

TUNISIE (suite): la maturation d'un peuple

Voilà ce que c'est, le progrès !
Ne maîtrisant pas mon nouvel ordinateur, j'ai malencontreusement appuyé sur "publier" plus tôt que prévu...
Mille excuses...

Donc le président Marzouki a fait une analyse très lucide de la situation de son pays, en ce 12 avril à Paris : de la nécessité du "bricolage" en démocratie, de la mise en place d'une démocratie à la fois sociale et consensuelle pour permettre à la fois au pays de sortir de l'effroyable crise économique dans laquelle il a plongé et de la crise politique mettant dos à dos modernistes et traditionnalistes, les uns et les autres indispensables au pays. Les élections ne peuvent se faire qu'au scrutin proportionnel étant donné les mentalités : "Vous imaginez un scrutin majoritaire comme en France, a dit le Président : si les salafistes remportaient 51% des voix et les modernistes 49%, les seconds n'accepteraient pas les résultats et si les modernistes remportaient 51%, les salafistes n'accepteraient pas ! Donc nous sommes condamnés au scrutin proportionnel".
 Et le président de rappeler que 2,5 millions de Tunisiens vivent sous le seuil de pauvreté : "Nous risquons une deuxième révolution et celle-ci ne sera pas pacifique, a dit le Président ; si on y arrive, on sortira notre barque des tempêtes. Aucun bloc n'acceptera d'être des citoyens de seconde zone. Donc soit on adopte une démarche consensuelle, soit on s'achemine vers une guerre civile larvée". Convaincu qu'au sein d'Ennadha il existe des musulmans démocrates qui "mènent la barque", au sens de la démocratie chrétienne italienne, M. Marzouki milite pour le développement des Droits de l'Homme, fondement de sa démarche personnelle depuis des décennies : "Je veux la liberté de conscience dans mon pays, assène-t-il, la liberté d'expression, d'association, d'habillement...On peut être fier de ce que la transition tunisienne ait été la moins coûteuse en vies humaines dans le monde arabe, et la plus rapide". Et de terminer par ces propos : Réfléchissons hors de la doxa et des idéologies et nous pourrons enfin accéder au statut de peuple mature".
Beau programme, riche d'espérance.

Un mois plus tôt, le 13 mars exactement, sur les marches du théâtre municipal de Tunis, un jeune homme de 27 ans, Adel Kharzi, s'immolait par le feu, comme Mohamed Bouazizi deux ans plus tôt, celui-là même par qui est arrivée la Révolution du jasmin... Une révolution en laquelle Adel avait mis toute son espérance et qui, au fil des mois, lui apparut de plus en plus lointaine, inaccessible.
Alors, malade, désespéré, sans qu'aucune lumière, aussi infime soit-elle, ne vienne éclairer son horizon, Adel a choisi la seule issue qui lui paraissait possible : la mort. Comme tant d'autres comme lui, en Tunisie et ailleurs dans le monde.

Le chemin sera long encore avant de devenir le "peuple mature" rêvé par le Président Marzouki mais c'est le lot de toutes les révolutions.

Nanette

TUNISIE :

Essayer de faire le point sur ce qui se passe en Tunisie après avoir reçu tant d'informations, ces derniers temps.
Tenter non pas de comprendre, ce serait bien présomptueux, mais au moins de deviner, d'espérer ce que pourraient être les mois et les années à venir dans ce pays si attachant à la lumière des derniers événements.
Ce qui a fâché d'abord, peut-être à tort (le risque toujours présent de céder à la paranoïa !) : le 16 février dernier, le journal "Le Monde" publie dans le cadre de la semaine contre l'illéttrisme le témoignage d'une certaine Meherzia, 53 ans qui "a gravi tous les échelons sans jamais apprendre à lire et à écrire". On présente cette Française d'origine tunisienne totalement analphabète, qui réussit à se faire embaucher comme caissière dans un supermarché à Paris après avoir quitté un mari violent qu'elle connaissait à peine puis grâce à son habileté devient chef de rayon, l'équivalent d'un poste à bac + 4 etc. Bref, tous les poncifes bien connus sont utilisés dans cet article pour faire l'apologie de la débrouille et de l'apparence. Un journal tunisien hostile au parti Ennadha, "Le Maghreb", a repris cet article du Monde, dans son édition du 15 mars, en y ajoutant le nom de famille Labidi, laissant croire que la Meherzia analphabète du "Monde" ne serait autre que Meherzia Labidi, vice-présidente de l'Assemblée Constituante, membre du parti Ennadha et quatrième personnalité dans la hiérarchie du paysage politique tunisien.
Les réseaux sociaux, tunisiens prioritairement, ont sauté sur l'occasion pour enfoncer le clou et entretenir la confusion... Certes, en politique tous les coups sont permis, on le constate tous les jours mais les proches de Mme Labidi ont réagi en rappelant son palmarès universitaire : DEA de Littérature et Civilisation des pays celtiques, DEA d'études théâtrales, Master en traduction économique et juridique de l'ESIT-Sorbonne (trilingue). De quoi clouer le bec à ses détracteurs... De plus, sa remarquable capacité de médiatrice lui vient de ses nombreuses années consacrées au dialogue interreligieux au sein de l'ONG reconnue par l'ONU "Conférence Mondiale des Religions pour la Paix" qui lui ont valu de parcourir le monde en tant qu'ambassadrice de la paix. Preuve vivante qu'il est possible de concilier islam et modernité, religion et féminisme et pourquoi pas "francité" et "tunicité", Meherzia Labidi agace et fait peur parce qu'elle casse bien des images fausses que certains ont tout intérêt à développer et à propager. Par les réseaux sociaux entre autres.
Heureusement, le 12 avril dernier, à l'Institut du Monde Arabe à Paris, le président de la République tunisienne, Moncef Marzouki donnait une conférence à l'occasion de la sortie d'un livre consacré à la démocratie tunisienne en marche, "L'invention  de la démocratie" (Edition de La Découverte). Ce fut l'occasion d'entendre une parole sans intermédiaire, en live.
Que d'intelligence et d'espoir dans ses propos !

dimanche 21 avril 2013

Le secret de la famille Moulin-Fournier

Belle leçon de dignité, de courage et de discrétion que celle donnée par la famille Moulin-Fournier, enfin  extirpée de l'enfer en ce vendredi 19 avril. Albane, magnifique mère-courage, Tanguy, ce père plein de force morale, Cyril, son frère embarqué bien malgré lui dans cette terrible aventure et les quatre jeunes garçons du couple dont, bien heureusement, nous ne verrons jamais les visages ni n'entendrons la voix, ont occupé nos écrans une bonne partie du week-end, perdus parmi la foule des manif-pour-tous, manif gay, attentat de Boston, marathon de Londres,  finale de tennis perdue par Nadal et coupe de la Ligue de foot gagnée par St-Etienne après 32 ans d'échec...
Que d'émotions !
Mais la plus belle, la plus profonde, la plus remplie de joie de toutes ces informations, c'est bien sûr l'arrivée de cette magnifique famille Moulin-Fournier à Orly, rentrant en France après deux mois de captivité au Nigeria à la suite d' un enlèvement crapuleux. Toute la famille réunie sur le tapis rouge,autour du Président de la République, de sa compagne et du ministre des Affaires Etrangères, à la descente d'avion, à Orly, a fait preuve d'une réserve, d'une émotion contenue plus impressionnante que n'importe quel discours.
On devinait bien quelles épreuves les adultes et les enfants avaient du endurer pendant ces deux mois. Mais comment ne pas ressentir la beauté morale de ce couple, interviewé au journal télévisé de France 2 le soir même de leur délivrance lorsqu'ils racontèrent, le visage radieux, ce que fut leur quotidien ? "Les enfants ont très bien résisté, dit Albane, la mère ; ils n'ont pas pleuré, n'ont pas fait de cauchemar. Nous avions pu emporter trois livres : les fables de La Fontaine, "La chèvre de M. Seguin" et un livre sur les jeux olympiques de la Grèce antique". C'est exactement ce qu'il fallait pour que ces enfants gardent leurs repères culturels, moraux, pour que le socle familial ne cède pas. "Nous avons continué des rituels, expliqua Cyril, l'oncle ; la préparation du petit déjeuner, ranger nos affaires, faire la toilette, bien sûr avec le peu que nous avions. Il fallait avoir du rythme". Quelle leçon éducative ! Mais surtout la famille n'a jamais été séparée ; ils ont continué à vivre, à jouer, à dormir, à s'aimer comme d'habitude.
Alors que la France n'en finit pas de se battre et de faire monter les extrêmes avec le mariage homosexuel et ses appendices, la famille Moulin-Fournier vient nous dire la beauté d'une relation toute simple, bâtie sur l'amour, la tendresse et la force spirituelle. Albane a remercié tous ceux, de toutes religions, qui avaient prié pour eux dans le monde. Jamais ils n'ont perdu confiance, c'est là leur secret.Et le pédopsychiatre Marcel Ruffo dit simplement pourquoi tout se passera bien, malgré les traumatismes vécus : "Grâce à la force du père, la famille est soudée ; il dit à ses enfants "je suis le maître de votre destinée". Ils peuvent retourner au Cameroun sans dommage. Merveille de père...

Nanette

samedi 6 avril 2013

Président furtif

Images calamiteuses, en cette mi-journée de samedi aux Journaux télévisés : François Hollande, le "président normal", en déplacement dans sa bonne ville de Tulle dont il fut maire pendant une vingtaine d'années et qui a voté à 75 % pour lui en mai dernier, se planque comme un voleur pour ne pas affronter quelques dizaines de manifestants opposants au "mariage pour tous" massés devant les grilles fermées de la préfecture... Pour leur échapper, il est passé par une porte dérobée, à l'arrière du bâtiment et ne rencontrera pas un seul citoyen hors les murs de la préfecture... Tristesse !
Pendant les quatre petites heures que durera son déplacement en province, il remettra six médailles à des habitants du lieu mais restera bien à l'abri derrière les fenêtres officielles.
Les journalistes  ne lui font pas de cadeau : récits et images de ce méchant épisode feront plus de dégâts dans l'opinion que les hésitations et les approximations verbales du président de la République pris dans l'engrenage de l'affaire Cahuzac.
Me revient en mémoire l'attitude du général De Gaulle, au lendemain de la libération de Paris en août 1944 : alors qu'un Te Deum d'action de grâces retentissait dans la cathédrale Notre-Dame, le général au premier rang de l'assistance, on entendit des coups de feu tirés en cascade et l'on vit des centaines de personnes se réfugier sous leurs chaises pour se protéger. Un seul, du haut de ses deux mètres, demeura debout, impassible face au danger : le général De Gaulle...
Ne nous laissons pas emporter par la déception qui nous ferait devenir cruelle en comparant quelques excités portant des banderoles devenues dérisoires et un peuple survivant à cinq ans d'une guerre ayant causé la mort de millions d'êtres humains.

Nanette

vendredi 5 avril 2013

Verts pâturages

Rafraîchissantes collines gersoises dans ce tumulte politico-médiatique qui empoisonne ce printemps qui n'en finit pas d'arriver... Dans la noirceur des "affaires" propres à nous démoraliser pour longtemps, vagabonder au coeur des pâturages verdoyants a enfin la vertu d'éclairer notre horizon !
Oui, qu'il est bon d'admirer ces verts aux multiples variantes : vert profond des blés, vert tendre des jachères déjà parsemées de fleurs, verts camaïeus s'étendant à perte de vue sur les flancs des collines mordorées se partageant le territoire avec les labours moirés en attente des prochaines semailles.
Qu'il est doux de se réconcilier avec la terre qui ne ment pas, elle, de s'émerveiller des splendeurs de ces pâturages soyeux semblables à de vastes tapis aux couleurs franches et toniques. Point de dissimulation, de tricheries, d'adoration de ce veau d'or éternel, l'argent, le fric, le flous, le pognon, le pèze qui fait tourner les têtes les plus pleines. Douceur de ces vallons gonflés d'oxygène, loin de toute pollution industrielle où le cerveau trouve sa nourriture régénérante, où le coeur ne vacille pas entre deux médiocrités, où l'esprit retrouve son équilibre...
Verts pâturages de cette belle France tellement malmenée par des oiseaux de mauvais augure qui ne cessent de l'entraîner vers les abysses.
Ressourçons-nous dans ces verts pâturages à la splendide simplicité qui s'offrent à nous en toute candeur.
"Beauté du monde et souffrance des hommes" écrivait François Varillon, ce grand jésuite qui compta tellement dans la vie spirituelle des croyants, dans les années 70-80.
Admirons le monde et la souffrance de l'homme s'atténuera.

Nanette

jeudi 21 mars 2013

La tendre Mme Ouvroir

Petit message tout en douceur aujourd'hui. Peut-être l'effet du printemps enfin là ?
Mon petit-fils de 10 ans s'est pris récemment de passion pour le tricot. De sa propre initiative, il est allée voir  une dame tenant boutique de laine, broderie, tapisserie et autres merveilles près de chez lui. Une dame souriante, accueillante, un peu rondelette, toujours prête à donner de son temps. Appelons-la Mme Ouvroir. Il lui a dit qu'il voulait tricoter une écharpe pour son frère qui fêtait ses 14 ans, qu'il lui fallait donc des aiguilles et quelques pelotes de laine. Mme Ouvroir, qui ne doit pas avoir tant de jeunes clients aussi acharnés, lui a conseillé des aiguilles en bambou, n° 7 et de la laine alpaga-mérinos. Rien que du beau !
Et voilà mon Antoine qui, depuis quelques semaines, passe tous ses loisirs à aligner les rangs, à s'initier au point mousse, puis au point de riz,  puis jersey, puis aux côtes anglaises... et maintenant il a entrepris de mener à bien la fabrication d'une couverture en patchwork avec des carrés de 20 cms sur 20 cms. Du coup, toute la famille s'y est mise, même la grand'mère qui n'avait plus touché une aiguille ni une pelote de laine depuis plus de 30 ans, au temps de sa dernière grossesse...
Ce petit Antoine est en train de devenir incollable en qualités de laine, en variétés de couleurs, en marques et en provenance ; tout doit être "made in France" ! Il est devenu le grand copain de Mme Ouvroir, va la voir pour le moindre détail, le plus petit problème de point perdu, de nouvelle aiguille à découvrir pour finaliser son ouvrage...
Après tout, pourquoi ne pas lui demander d'essayer de rattraper ce vilain bout de laine méchamment tiré de ma veste depuis plusieurs années ? "J'ai réfléchi au collège, me dit-il, et je crois que j'ai trouvé comment faire" ; et le voilà avec une grande aiguille, tout simplement, réintégrant la laine dans la manche... Je suis confondue !
N'allez pas croire qu'il s'agisse d'un nouveau Saint-Laurent ou du Christian Dior des années 2030 ! Non, parce qu'il aime aussi par-dessus tout jouer de la guitare classique et dessiner, apprendre le solfège et peindre en pleine nature... Ce qui ne l'empêche pas d'avoir 15,5 de moyenne en classe.
Un surdoué ? Sûrement pas. Seulement un enfant "bien dans ses baskets", goûtant la vie avec délices et sans excès.
Finalement, ce n'est pas si compliqué : il suffit d'une paire d'aiguilles à tricoter et d'une pelote de laine...Et de beaucoup de tendresse autour de lui !

Nanette

mercredi 13 mars 2013

François, le pape des pauvres

Joie, bonheur, fierté... Quoi encore : dilatation de l'âme face à ce coup de tonnerre reçu comme un cadeau à 20 h 11 en ce mercredi 13 mars, en direct du balcon du Vatican...
Un nouveau pape nous est donné, venu de l'autre côté de l'Océan, "du bout du monde" comme il le dit lui-même dans un sourire. Un Jésuite, érudit, équilibré, pastoral, d'une simplicité franciscaine ; Jorge Mario Bergoglio, "l'ascète proche des pauvres" comme titrait le journal La Croix, le vendredi 8 mars dans sa présentation des figures du conclave susceptibles de succéder à Benoît XVI.
Sur la place St-Pierre, dans la rue de la Conciliation, noires de monde, tout à coup la clameur s'est tue. Comme si la foule était en état de sidération à la vue de cet homme blanc tellement surprenant, déjouant tous les pronostics. En état de choc. Lui, l'homme de l'autre hémisphère, du continent américain qui n'avait encore jamais donné de pape à l'Eglise, se présente à eux, demeure de longs instants totalement figé, les bras ballants, simplement vêtu de cette soutane blanche unique au monde, l'air tellement calme qu'il semble leur dire : "Eh bien, oui, c'est moi que les cardinaux ont choisi, moi qui vient vers vous dans ma pauvreté et mon humilité, avec pour seule mission celle de vous conduire sur le chemin de l'Evangile".
C'était tout simplement prodigieux.
Les premiers mots du pape François -puisque c'est ainsi qu'il a choisi de s'appeler en référence à François d'Assise, le povorello- furent pour prier pour Benoît XVI, un "Notre Père", la prière enseignée par le Christ, puis un "Je vous salue, Marie" ; et ces quelques phrases improvisées engageant le peuple à le suivre "sur le chemin de la fraternité, de l'amour entre nous". Et encore cette attitude d'humilité demandant au peuple face à lui de "prier le Seigneur pour qu'Il me bénisse"... Et cet immense silence emplissant la place St-Pierre, chargé d'une prière fervente. Enfin, il devient pape en revêtant l'étole, le temps de donner sa première bénédiction "urbi et orbi" puis il enlève l'étole et redevient l'humble évêque de Rome au service de ses frères...
Quelle rupture avec la fameuse pompe vaticane tant raillée. Quelle première leçon de retour aux sources essentielles du message chrétien : la pauvreté évangélique, l'attention aux plus petits, aux déshérités. Déjà on raconte des anecdotes le concernant : la vente de la résidence des archevêques de Buenos Aires et son choix de vivre dans un petit appartement proche de la cathédrale ; le soutien qu'il apportât à l'un de ses prêtres menacé de mort par les narcotrafiquants en allant vivre plusieurs jours avec lui dans son bidonville.
Oui, le pape François va nous étonner. Ce sera le pape de la révolution tranquille, celle du coeur qui choisit l'autre plutôt que lui-même, le service plutôt que la satisfaction de ses désirs, la fraternité plutôt que l'intolérance.

Nanette

samedi 2 mars 2013

Assomption papale

Images inoubliables que celles du pape Benoît XVI s'envolant, jeudi en fin d'après-midi, dans le ciel romain après s'être appliqué à lui-même l'injonction des "printemps arabes", "Dégage !"
Merveilleuse parabole à inscrire dans l'histoire de la papauté que ce pape s'élevant dans les airs, à bord d'un hélicoptère tout blanc, comme sa soutane, et survolant le dôme de St-Pierre puis le Colisée qui vit se dérouler tant de jeux du cirque pratiqués sous tant de règnes d'empereurs romains...
Comment nommer cet envol : ascension ? assomption ? envol tout simplement ?
Oui, Joseph Ratzinger a choisi, en son âme et conscience, de "dégager".La stupeur passée, il reste comme un grand fou rire intérieur : il a osé ! Au nez et à la barbe du monde entier, il a osé poser un acte d'homme totalement libre, choisissant ce qu'aucun cinéaste -pas même Nanni Moretti- n'aurait osé imaginer : tirer sa révérence avec élégance et discrétion.
Encore un petit discours à la fenêtre de ses appartements privés destiné à une foule immense massée place St-Pierre ; et puis, à peine arrivé à Castel-Gandolfo, un petit bonsoir du haut du balcon à l'adresse d'une petite foule venue l'acclamer une dernière fois. "Bonne nuit" leur a-t-il dit en ultime adieu... Fascinant !
Dès que le nouveau pape sera élu, il rentrera au Vatican, accueilli dans un doux monastère où l'on veillera sur lui avec affection. Il pourra jouer du piano, cultiver ses roses, prier, écrire, lire...Bref, Sa Sainteté vivra sans doute encore de longues et paisibles années de retraité, à l'abri des turbulences du monde, après huit années papales trop lourdes pour ses frêles épaules.
"Sa Sainteté a bien dormi" a précisé son entourage dans un communiqué de presse, le lendemain matin...
Tout juste a-t-il troqué ses chaussures rouges... pour des chaussures marron !
Décidément, nous vivons une drôle d'époque...

Nanette

lundi 25 février 2013

Emmanuelle Riva, dans la douce pénombre...

Les jurés hollywoodiens lui ont préféré une toute jeunette de 22 ans, Jennifer Lawrence. Notre si belle et divine Emmanuelle Riva n'ajoutera donc pas à ses trophées la statuette d'or si enviée des Oscars. Au fond, c'est peut-être cela, son véritable cadeau d'anniversaire, celui de ses 86 ans fêté parmi tant d'amis à Hollywood.
Comblée d'honneurs et de récompenses, la merveilleuse vieille dame de "Amour" disait son inquiétude de tant de sollicitations médiatiques. Il fallait la voir, débarquer mutine et rieuse en fauteuil roulant à l'aéroport de Los Angeles dimanche à l'aube après douze heures de vol et l'écrasante fatigue de la nuit des Césars, à Paris la veille, où elle fut acclamée par toute la salle debout, heureuse de voir couronnée cette actrice et cette personne exceptionnelle. Au premier rang des invités, Kevin Kosner qui recevait, lui, un César d'honneur pour l'ensemble de sa carrière, fermait les yeux pour mieux savourer les si douces paroles prononcées par Emmanuelle Riva accueillant son trophée avec tant de simplicité et de tendresse à l'adresse de toute l'équipe du film : "Je ne peux vivre que dans le partage" dit-elle tandis que, quelques jours plus tôt, elle confiait au journal "La Croix" : Ce partage me rend folle de joie depuis toute petite. Ne pas être enfermée seulement dans son écorce d'être".
Voilà toute la différence...
Peut-être l'ultime élégance d'Emmanuelle Riva aura-t-elle été d'assister au triomphe de "Amour", Oscar du meilleur film étranger mais de ne pas accéder à la lumière trop crue des projecteurs harcelant la récipiendaire de l'Oscar de la meilleure actrice.
La douce pénombre lui va si bien !

Nanette

lundi 18 février 2013

Tunisie : faire confiance

Face aux turbulences qui secouent la Tunisie, si fortement depuis quelques semaines, quelle attitude adopter, nous Français de France, bien au chaud dans ce pays en paix, doté de fortes institutions séculaires qui nous autorisent  de grands débordements verbaux sans risque majeur, ni pour notre sécurité, ni plus encore pour notre vie ?
Surtout, ne pas céder aux oiseaux de mauvais augures qui pullulent sur les ondes et dans les journaux qui font comme si un pays maghrébin, aussi civilisé et aguerri à la démocratie que la Tunisie, avait sombré dans le fanatisme islamiste par le truchement du parti Ennadha. Certes, ce parti compte en son sein des députés aux convictions plus ou moins démocratiques, voire islamiques pures et dures mais il ne faut jamais oublier que l'islam est consubstantiel à la vie des pays maghrébins et qu'il fait partie intégrante de la constitution.
Alors oui, nous pouvons être préoccupés -le mot est faible- par l'évolution actuelle de la vie politique tunisienne. Mais la bonne attitude à adopter me semble de plus en plus être la confiance. Confiance dans les personnes ayant accepté des postes à haute responsabilité comme mon amie Merhézia Labidi, vice-présidente de l'Assemblée Constituante qui poursuit sa tâche avec courage et intelligence auprès de la jeunesse tunisienne avide de renouveau mais tellement démunie matériellement. Actuellement, les députés travaillent sur le brouillon de la future constitution mot par mot, les démocrates ayant à coeur d'y introduire les notions inaliénables de démocratie, d'égalité, de liberté. Tâche rude qui demande du temps, de la négociation, de l'intelligence. Les manifestations publiques, relayées avec gourmandise par des chaînes de télévision friandes de sensationnel, laissent croire que le pays est à feu et à sang et que la France est devenue l'ennemi de la révolution. On a brûlé un drapeau français à Tunis, on a hurlé devant les caméras : "Dégage, la France !" et le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a qualifié le parti Ennadha de "fasciste", ce qui a consterné les démocrates du parti. Les hommes politiques au pouvoir tentent de trouver des solutions pour former un nouveau gouvernement, pour organiser des élections fiables, pour enfin faire redémarrer l'économie, source de tous les maux. Mais des forces obscures, liées à la fois au passé et à la finance internationale minent trop souvent les bonnes intentions.
Que penser, comment réagir face à ces turbulences ? Attendre, attendre encore et laisser les Tunisiens s'entendre entre eux, avec courage et confiance dans leur peuple. N'oublions jamais qu'il nous a fallu au moins 2 siècles et des milliers de morts pour faire advenir notre révolution...

Nanette

mardi 12 février 2013

Bientôt un pape québécois ?

Vingt-quatre heures à peine après que Benoït XVI eut annoncé sa renonciation à la fonction papale, les députés français votent à une forte majorité en faveur du mariage homosexuel... Encore un coup d'épée dans le coeur déjà si fragile du pape. Il était décidément grand temps qu'il prenne la décision de se retirer pour ne pas terminer sa vie totalement déprimé devant les transformations du monde...
On parle beaucoup, depuis hier, de trois cardinaux papabili dont Marc Ouellet, cardinal québécois de 68 ans, très proche du pape actuel. D'ailleurs depuis 2010 le cardinal Ouellet a intégré la Curie romaine ; il est à la fois préfet de la toute puissante congrégation des évêques et président de la commission pontificale pour l'Amérique latine, qu'il connaît bien puisqu'il vécut deux ans en Colombie.De plus, il parle une demi-douzaine de langues !
En observant de plus près son parcours, on ne peut que deviner que, s'il était élu pape, le cardinal Ouellet n'ouvrirait sans doute pas toutes grandes les portes vaticanes à la modernité. Certes, en 2007 il adressa une lettre ouverte aux Québécois pour leur demander pardon pour les erreurs commises par l'Eglise du Québec avant 1960, date à laquelle la "révolution tranquille" balaya radicalement la très forte influence de l'Eglise dans la Belle Province ; en juin 2012 encore, en Irlande, il demanda pardon au nom du pape pour les abus sexuels commis par les prêtres sur les enfants pendant des décennies... Mais cette attitude de repentance ne doit pas cacher d'autres prises de position beaucoup moins "libérales".
L'histoire du Québec doit énormément à l'Eglise catholique ; ce sont des prêtres et des religieuses, notamment français, qui ont fait le Québec actuel dès le 17è siècle, transformant ce merveilleux territoire en un pays structuré, doté d'institutions solides et d'une population éduquée. Mais la toute puissance de l'Eglise finit par étouffer les Québécois qui, dans les années 60, jetèrent par dessus les moulins prêtres, religieuses, mariages, sacrements et toute l'institution ecclésiale. Ce n'est qu'en 1965 que le Québec se dota d'un ministère de l'Education. Auparavant, seules les congrégations religieuses éduquaient les petits Québécois...
Aujourd'hui, après 50 ans de désert, le Québec connaît un début de renouveau de l'Eglise catholique, surtout grâce aux immigrants venus de Pologne ou d'autres pays de tradition catholique. Mais les "pures laines" ne s'embarrassent plus de dogmes ou de vie paroissiale. Tout au plus assiste-t-on à des offices très suivis à l'Oratoire de Montréal où l'on vénère le frère André, un  homme pieux et simple qui vécut là et que Benoït XVI a canonisé récemment. La ferveur populaire en a fait une sorte de Padre Pio québécois.
On constate également que le renouveau charismatique se fraye un chemin jusque sur le Plateau, le quartier le plus branché de Montréal ; les fraternités de Jérusalem s'y sont installées et attirent de jeunes catholiques très pratiquants. L'Opus Dei est bien installé également à Montréal et ses prêtres ne chôment pas...
Dans ce contexte de renouveau d'un catholicisme bien "délabré" -selon le mot d'un jésuite français de renom- le cardinal Ouellet trouve tout naturellement une place de leader représentatif d'une certaine vision conservatrice de la religion. Très opposé à l'avortement, légal au Québec, il s'est fait de solides ennemies parmi les féministes qui ne l'ont guère ménagé, lui et l'ensemble de l'institution, pendant le congrès eucharistique qui s'est tenu à Québec en juin 2008 !
Alors faut-il se réjouir de voir peut-être monter Marc Ouellet sur le trône de Pierre à l'issue du prochain conclave ? Ce serait sans doute une victoire pour l'Occident conservateur mais certainement pas pour l'Eglise universelle dont 70 % de ses fidèles vivent dans l'hémisphère sud... Un cardinal philippin ou africain
donnerait un autre souffle à cette institution figée dans le passé.

Nanette