lundi 4 mai 2015

Le mariage de Ben Hur

J'en suis encore toute chamboulée.
Hier dimanche, je suis allée à la messe de 11 heures à ma paroisse. Le prêtre, un Africain de Côte d'Ivoire, commence son homélie par ces mots : "Je voudrais vous raconter ce que j'ai vécu hier après-midi pendant un mariage célébré ici, dit-il. Je suis encore k.o., sonné. J'étais devant l'église avec les invités du mariage. Je ne connaissais pas les mariés ; je cherchais à deviner qui ils étaient. Je vois une jeune femme avec une robe pas terrible, façon robe de mariée des années 50. Je ne voyais pas le marié. On entre dans l'église. Tout le monde s'installe. La mariée et le marié aussi. Et là, qu'est-ce que je vois ? Le marié était déguisé en Ben Hur ! Avec une cuirasse, une toge et une couronne de lauriers sur la tête... Et les invités étaient déguisés aussi ! Il paraît que c'était le thème du mariage... J'étais sonné. Qu'est-ce que je devais faire ? Alors à toute vitesse dans ma tête je repense au droit canon concernant le mariage : y a-t-il "empêchement dirimant" avec tromperie sur l'identité de la personne qui rendrait ce mariage nul ? Ces jeunes ont suivi les cours de préparation au mariage ; c'est vrai on ne dit pas aux futurs époux comment ils doivent s'habiller parce que d'habitude pour son mariage une femme met une belle robe blanche et un homme son plus beau costume ! Qu'est-ce que je devais faire ? J'ai attrapé le crucifix qui est sur l'autel et je leur ai dit en le leur montrant : l'esprit de Dieu est ici ! "
Cette anecdote est loin d'être anodine. Elle a quelque chose de terrifiant : comment a-t-on pu en arriver à ce degré d'inculture, d'irrespect, d'inconscience spirituelle au point de se travestir comme au carnaval au moment de se donner le sacrement de mariage ? Je suis sûre que le jeune couple était totalement inconscient du sens de sa mascarade. Sans doute s'étaient-ils présentés devant le maire dans le même appareil, ce qui, à mes yeux, est tout autant condamnable. L'engagement devant les principes républicains a la même force symbolique que devant Dieu.
A qui revient la responsabilité de révéler la sacramentalité du mariage, la puissance d'un engagement à vie "pour le meilleur et pour le pire", le sens du sacré, de la transcendance ?
D'un coup, j'ai mesuré le fossé abyssal qui s'est creusé dans notre société hautement sécularisée entre les générations... "Autrefois", pour la grande majorité nous vivions une religion culturelle, celle de nos parents et grands-parents sans nous poser trop de questions. Aujourd'hui, ceux qui n'ont pas tout envoyé promener interrogent leurs convictions, leurs doutes, réfléchissent et discernent avec honnêteté sur ce qui constitue l'essence de leur foi. D'autres, souvent pour se rassurer ou par convention sociale, éprouvent le besoin d'utiliser les rites sans trop comprendre leur véritable sens. Alors pourquoi pas se déguiser en Ben Hur, ce héros romain du 1er siècle, prince de Judée et conducteur de chars qui, sous les traits du splendide Charlton Heston, fascina des millions de spectateurs vibrant au péplum de William Wyler, le film aux onze Oscars des années 50 ? Qui ne se souvient avec émotion de la célèbre course de chars, clou du film, qui vit le triomphe de Ben Hur superman ?
 Où est le mal ? Pourquoi chercher noise ? C'était super sympa, cette fête de mariage !
Le prêtre, tout k.o. qu'il était, a pris la bonne décision : il n'a pas empêché le mariage, ce qui aurait provoqué un scandale bien plus grand encore. Mais au fond de lui, dans son intimité bouleversée, il éprouvait plus que du malaise... A la fin de la messe, avant de regagner la sacristie, il lance encore à l'assemblée : "Excusez-moi de vous le dire, ne le prenez pas mal mais j'aimerais bien que vous arriviez à l'heure à la messe ! J'ai commencé avec une église à moitié vide. C'est en Afrique qu'on arrive en retard, pas en France ! La France est un pays civilisé !"
Hier, la déchristianisation de la France m'est apparue infiniment plus profonde que je ne pouvais l'imaginer...

Nanette