samedi 17 décembre 2016

Une toute "Petite Poucette"

De ma place, je ne vois que deux toutes petites menottes au bout de tout petits bras d'un tout petit corps -un an peut-être ?- enfoui dans une poussette rouge. Au-dessus de ce tout petit enfant, la maman. Trente ans environ, brune, bien habillée, le regard absent, elle semble lointaine.
Rien que de très banal dans ce bus conduisant au centre-ville. Pourtant, ce qui me frappe, ce sont les petites menottes ; entre les petits doigts potelés, un smartphone sur lequel défilent les images d'une vidéo. Un dessin animé façon Walt Disney. Avec des flashes entre chaque image. L'enfant ne dit rien, il regarde en tenant fermement l'objet entre ses pouces. Je regarde en biais. Le cœur tordu, l'oeil sans doute mauvais. Je fixe la maman. A force, elle va finir par me regarder ! Banco ! J'ai presque honte... Trop facile de jouer les grands mères outragées. De se référer immédiatement mentalement à Michel Serres et à sa "Petite Poucette", ce nouvel humain né de l'essor des nouvelles technologies en train d'envahir notre planète.
Echange de regards entre nous deux. Comme je me sens vieille... Comment me juge-t-elle : un vieux schnok racorni dépassé par son temps ? Une bourge enfermée dans son quant-à-soi ? Une mamie bienveillante qui craint pour ce petit être en devenir ? Au fond, je me fais un film ! Elle n'a rien remarqué du tout, elle se fout totalement de moi !

 N'empêche, Michel Serres me hante, lui le philosophe presque nonagénaire qui a su si bien trouver les arguments plaidant en faveur de "cette ère nouvelle qui verra la victoire de la multitude, anonyme, sur les élites dirigeantes, bien identifiées ; du savoir discuté sur les doctrines enseignées ; d'une société immatérielle librement connectée sur la société du spectacle à sens unique..."
Il n'en n'est pas là, ce petiot, tétine au bec et menottes encombrées. Les images défilent devant ses yeux tout neufs, bien loin de tout esprit critique.
Mais... mais...au bout de quelques minutes, la maman reprend le smartphone et le glisse dans sa poche. Elle fouille dans son sac, en retire une feuille de papier, déniche un crayon et donne le tout au petit bonhomme qui, sans broncher, installe le tout devant lui, toujours dans la poussette rouge, et commence à gribouiller !
Mon cœur bondi de joie.
Et si, après tout, il s'était passé quelque chose entre nous ? Une sorte de transmission "intergénérationnelle" comme disent les sociologues. Juste par la grâce d'un regard échangé...

Nanette

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire