vendredi 29 novembre 2013

TUNISIE : AN 2 DE LA REVOLUTION (4) - Et le bon Dieu dans tout çà ?

Et notre bon Dieu à nous, chrétiens qui depuis plus d'une semaine sillonnons ce pays dont la population est musulmane à 99%, où se cache-t-il ?
Dans la splendeur de ces innombrables mosaïques admirées au musée du Bardo à Tunis, à Kairouan dans une villa romaine, à Dougga ou à Bulla Regia niché dans la chaîne de l'Atlas près de la frontière algérienne, à Carthage ou à Utique ?
Entre les doigts experts d'un potier de Nabeul qui décore à main levée depuis 22 ans des poteries destinées aux Etats-Unis ou dans la voix sublime d'Alia Sellami, chanteuse de l'Ensemble vocal Aloes entendue à notre hôtel ?
Dans le regard tendre d'un enfant croisé dans la casbah de Bizerte ou dans le geste attentif de l'homme chargé de nous recouvrir, nous les femmes, d'une djellaba avant de franchir le seuil de la grande mosquée de Kairouan ?
Dans ces paysages bibliques immémoriaux où les Phéniciens puis les Romains, les Grecs et les Arabes construisirent leurs villes et où seuls semblent vivre maintenant des bergers gardant leurs troupeaux de moutons ?
Il est partout, notre bon Dieu, et nous le savons tous.

"Faire ce qui n'est pas interdit"

Les cloches des églises ne sonnent plus en Tunisie. Les prêtres, les religieux et les religieuses doivent se fondre dans la population, ne pas porter de signes ostentatoires d'appartenance religieuse. La plupart des églises ont été fermées, nationalisées ou transformées en centre culturel. Les processions sur la voie publique sont interdites. Toutes ces dispositions résultant d'un accord passé entre le Vatican et la Tunisie.
Sur un total de 115 églises, il en reste cinq en fonction ainsi que de nombreuses chapelles installées chez des sœurs ou des religieux à travers tout le pays.
Cette situation de liberté surveillée pèse à Mgr Ilario ,Antoniazzi, le tout nouvel archevêque de Tunis arrivé de Jérusalem depuis seulement six mois : "Nous ne sommes qu'à 80 kms de l'Europe, nous dit-il à l'issue d'une messe célébrée dans la cathédrale St-Vincent-de-Paul, et pourtant ici au Maghreb on sort du monde européen. La réalité est bien différente".
L'Eglise locale compte environ 30 000 chrétiens (25 000 catholiques et 5 000 orthodoxes), des étrangers pour la plupart : des Africains du sud Sahara venus étudier, des ouvriers travaillant dans des usines délocalisées, des chefs d'entreprises venus d'Europe. Leurs contrats de travail finis, ils retournent chez eux d'où la difficulté pour les prêtres d'assurer une vie paroissiale régulière. "Dans le clergé, nous avons 14 nationalités différentes, dit Mgr Antoniazzi ; nous devons vivre comme les premiers chrétiens, vivre l'amour du Christ avec nos frères qui n'ont pas la même religion que nous. Ici ont vécu saint Augustin, sainte Monique, saint Cyprien. Nous sommes sur une terre aride, semi-désertique. Mon espoir c'est de pouvoir mettre en terre le plus de semences possibles pour qu'elles poussent... dans 500 ans. Saint Pierre et saint Paul n'ont pas vu les fruits des semences qu'ils avaient mises en terre mais 2 000 ans après, ces semences sont devenues des arbres !"
Les Pères Blancs se répartissent en 3 communautés, en Tunisie. Fondé en 1926, l'Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA) occupe une ancienne maison tunisoise pleine de charme au centre-ville. Centre de formation pour les missionnaires en Tunisie, l'IBLA disposait d'une bibliothèque forte de 30 000 livres dont la moitié ont été détruits dans un incendie en 2010. L'institut national du patrimoine de Tunisie participe à la restauration des locaux.
Cinq religieux travaillent à l'IBLA dont le Père André Ferré, ancien directeur du PISAI à Rome, arrivé à Tunis en 1994 : "Je suis d'un optimisme modéré devant les blocages politiques actuels, nous dit-il. La société civile tunisienne est réelle et active, elle fait entendre sa voix quand c'est nécessaire. Le rôle des femmes est important, la vie associative également. Quant aux musulmans, ils sont favorables à un islam modéré, ils sont ouverts au dialogue interreligieux et sont mal à l'aise dans un islam rigoriste".
"Nous devons faire face à trois défis, explique Nicolas Lhernould, nouveau vicaire général du diocèse de Tunis et précédemment curé de Sousse qui estime qu'il n'y a pas de tension interreligieuse dans le pays : le défi de la sécurité bien que nos églises ne soient pas visées ; le défi de l'économie qui concerne beaucoup d'européens ; le défi de la marche du quotidien, notamment éducatif, cent mille jeunes Tunisiens ayant interrompu leurs études pour apprendre la débrouille".
Dans ce contexte difficile, le Père Lhernould imagine trois enjeux : "Comment vivre la transition démocratique avec notre statut de minorité ? Nous disons aux politiciens : servez-vous de nous ! Comment vivre notre mission alors que les régions pauvres nous sont interdites et qu'actuellement nous ne sentons aucun appel du pays ? Enfin devons-nous rester ce que nous sommes au milieu de notre vocation ? Avons-nous une parole prophétique à poser au milieu de tout çà ?"
Pour résumer ces questionnements et les réponses possibles à y apporter, Nicolas Lhernould aime utiliser une boutade tunisienne : "Ici on ne fait pas ce qui est autorisé, dit-il ; on fait ce qui n'est pas interdit !"


Le père Jawad a fait alliance avec un peuple

Un orage d'enfer accompagne notre rencontre avec le Père Jawad qui nous accueille dans sa paroisse au cœur de Sousse. Ce sera la seule éclipse d'un soleil omniprésent pendant tout notre voyage.
"Jésus est né chez moi", aime-t-il à rappeler, lui le Jordanien arabe dont la famille est issue d'une tribu chrétienne du pays Moab datant de la pentecôte ! "La révolution m'a révolutionné, raconte-t-il avec une joie débordante. J'ai vécu en tant qu'Arabe d'abord une expérience forte, mélangée avec toutes les revendications identiques à celles de l'Evangile. L'Esprit-Saint travaille au-delà des frontières. Dieu mène l'Histoire à sa manière. Il veut me dire quelque chose à moi à travers un peuple. J'ai vécu l'expérience d'une alliance avec un peuple."
En Tunisie depuis 17 ans, le Père Jawad n'avait pas besoin de venir ici pour rencontrer des musulmans ; il vivait avec eux en Jordanie. Par contre, ce qu'il a découvert c'est l'immense bonheur d'être prêtre de l'Eglise catholique en terre d'islam, de dialoguer avec l'autre, de jouer avec l'autre, de découvrir "cette humanité de l'autre que je devine, de dénoncer quand je ne suis pas reconnu par l'autre".
"J'aime ce pays parce que j'aime l'Evangile, affirme le Père Jawad avec fougue ; parce que je crois que Dieu nous a fait comme des frères. Chaque fois que je dis à Dieu "Papa" je reconnais que chaque créature est mon frère".
L'école des sœurs toute proche accueille 850 élèves tous Tunisiens : "Elle existe depuis 150 ans, dit le Père Jawad. Tous les enfants y entrent musulmans et en sortent musulmans !"
Ici, au Sahel tunisien, la région côtière, l'Eglise est bien visible : "Nous avons une carte à jouer ici, dit le prêtre. Il y a beaucoup de mariages mixtes, c'est la seule présence fixe dans la paroisse. Je ne sens pas le besoin de sonner les cloches ! Quand on est sur la frontière, comme le pape François, on ne s'installe pas trop. On vit au jour le jour. Nous devons garder la fraîcheur, la légèreté de la frontière. Notre fragilité est notre force".


"Le bouchon a sauté !"

La paroisse de la Marsa, ce quartier résidentiel ultra-chic de Tunis situé à quelques kilomètres à vol d'oiseau de l'ancienne cathédrale de Carthage, est une splendeur : magnifique propriété dans un écrin de verdure dominant la baie, c'est là que nous reçoit le Père Ramon, un Père Blanc, curé de la paroisse ainsi que trois Sœurs Blanches enseignant à Tunis.
Ici, nous ne nous sentons pas dépaysés : des groupes de chrétiens engagés font vivre la paroisse, les couples mixtes sont nombreux ("un vrai cadeau de Dieu" dit le Père Ramon) ; le groupe biblique fonctionne, les catéchistes ne manquent pas, les personnes âgées ne sont pas délaissées. Bref, les paroissiens sont actifs ! Il s'agit principalement d'entrepreneurs chrétiens en Tunisie pour quelques années, de diplomates en poste pour trois ans, de retraités étrangers ayant choisi de vivre agréablement leur retraite...
Une seule ombre au tableau : la Banque Africaine de Développement (la BAD) installée à Tunis depuis une dizaine d'années va rentrer en Côte d'Ivoire. Du coup, les 1 200 familles qui dépendent de cette banque vont quitter la région. Un coup dur pour l'économie locale et pour l'Eglise, la plupart de ces cadres étant catholiques -les cadres supérieurs étant généralement membres de l'Opus Dei. Les effectifs des enfants du catéchisme fléchissent peu à peu : de 85 en 2010, ils sont passés à 70 en 2012 puis à 45 cette année. "Les entreprises étrangères n'envoient plus leurs familles, explique le Père Ramon. C'est trop cher en cas de rapatriement. Depuis la révolution, les familles qui étaient là depuis plusieurs années sont restées, les autres sont parties immédiatement".
Pour rien au monde, sœur Mélika, sœur Blanche, n'aurait abandonné son poste ! Enseignante depuis plus de 40 ans, cette grande dame française respire la joie de vivre en terre d'islam : "La révolution a d'abord été sociale, non violente, dit-elle ; tout le monde a été heureux, le bouchon a sauté. Il y a eu beaucoup de joie, de solidarité envers les régions pauvres, les camps de réfugiés libyens. Mais maintenant la nature humaine reprend ses droits ; chacun tire la couverture ; on déchante un peu !"
A Tunis, l'école française des Marianistes où travaillent les Sœurs Blanches accueille 1030 petits musulmans. Sous tutelle du ministère tunisien de l'Education, elle respecte les programmes tunisiens mais offre des cours supplémentaires de français, d'anglais et d'informatique. Payante, l'école ne reçoit aucune subvention du Vatican ou de l'Eglise catholique française. Depuis près de trois ans, sœur Franceline, venue du Burkina-Faso, travaille elle aussi à l'école : "Je ne donne pas grand chose mais je reçois beaucoup, dit-elle dans un large sourire. Nous ne vivons pas de la Parole mais de la présence d'être là".

"Ah ! Les voyages... Que c'est beau, les voyages... car nos yeux ont changé et nous sommes étonnés de voir comme nos soucis étaient simples et petits..."


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Annette BRIERRE










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