jeudi 8 mars 2012

TUNISIE 2012 : 2 - "La volonté de vivre"

La grande salle du Palais des Congrès de Tunis est archi-comble : 2 000 personnes au moins dont les deux tiers sont des femmes portant le voile. En cet après-midi de samedi, le mouvement Ennahdha démontre son implantation dans les classes moyennes tunisoises. Beaucoup d'hommes aussi, tout aussi captivés par les discours des responsables féminines se succédant au pupitre, devant une forêt de micros.
L'atmosphère est chaleureuse, intense, reflétant cette ambiance palpable de grande attente du public envers ses députées et ses leaders. Les femmes sont jeunes, joyeuses ; tout le monde parle français.
Les prises de parole tourneront autour de diverses problématiques soulevées par le thème général de la conférence : "La femme et les révolutions arabes ; réalités et perspectives". Venue du Caire où elle est professeur de Sciences Politiques à l'Université, coordinatrice du Programme de Recherche et d'Education sur la Société Civile et spécialiste du dialogue entre les civilisations, le docteur Heba Raouf Ezzat donnera son analyse sur cette année extraordinaire vécue par les femmes du monde arabe en révolution. Puis Merhézia Labidi, députée des Tunisiens de l'étranger et 1ère vice-présidente de l'Assemblée Constituante, mettra tout son charisme et toute sa générosité à expliquer encore et encore comment il est possible de conjuguer laïcité et islam, modernité et tradition, démocratie et respect des autres différents. Une leçon d'espérance accueillie dans l'enthousiame et la ferveur. A mon tour, je dirai la réalité française de ces citoyennes associant vie civique, engagements laïcs et foi musulmane. Et j'insisterai sur la naissance de cette "3ème femme" proposée par des sociologues constatant l'évolution universelle de la femme moderne.
Et tout à coup, la salle se lève et applaudit à tout rompre : Rached Ghannouchi vient d'entrer. Le président-fondateur du mouvement Ennahdah qui a vécu 22 ans en exil à Londres et n'est rentré en Tunisie que le 30 janvier 2011 porté en triomphe par ses partisans, haranguera les militants et sympathisants pendant plus d'une demi-heure. Le discours est semblable à celui de Mme Labidi, plus véhément parfois : l'avenir est à la réconciliation avec tous les Tunisiens, les partis politiques doivent travailler main dans la main tant la tâche de reconstruction est colossale ; il faut apprendre la démocratie, éradiquer la corruption qui a miné le pays.
Le message passe, le public est conquis.
Et puis, comme à la fin de chaque meeting, l'assemblée debout entonne l'hymne national : il s'intitule "La volonté de vivre" ; un chant puissant, profond, aux accents semblables à notre "Chant des partisans". Composé par le poète tunisien Abou Al Kacem avant même l'arrivée au pouvoir de Bourguiba, il symbolise la volonté d'indépendance de tout le peuple. Ecarté par Bourguiba qui lui préféra un hymne à sa gloire personnelle, il a été repris par les révolutionnaires du 14 janvier 2011. Véritable jaillissement monté des profondeurs de la terre tunisienne, "La volonté de vivre" est devenu l'hymne de toutes les révolutions arabes !
En entendant ce chant poétique repris avec une telle ferveur par toute l'assemblée, je ne pouvais que mieux comprendre les souffrances endurées pendant des décennies par ces hommes et ces femmes emprisonnés, torturés, violés et deviner l'ampleur des blessures enfouies, des traumatismes jamais révélés. Des identités anéanties.
Peu à peu j'ai pris conscience de l'ampleur du désastre...

Annette BRIERRE

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